Ontologie : Démocritique

Octobre 2012

Postures et Impostures Nucléaires

Ont Ils raison ? Ont Ils tort ? Eux qui dénoncent une "dangereuse imposture nucléaire".
Et puisque j'en étais, de ces "ingénieurs nucléaires", dont ils dénoncent l'ignorance, j'en sais quelque chose !

Bien sûr Ils ont raison et c'est facile, d'évoquer la situation des réacteurs de Fukushima, comme celui de Tchernobyl. Ils peuvent en évoquer plein d'autres : des russes, des anglaises, des françaises, de ces situations d'incurie qui ont dépassé avec des conséquences irréversibles les capacités techniques des "ingénieurs".

Mais bien sûr Ils ont tort de ne pas regarder de plus près l'accident de Three Miles Island, dont malgré la fusion du cœur pourtant inenvisageable selon le rapport de sûreté, les conséquences ont été effectivement maitrisées, par ces "ingénieurs du nucléaire".

Bien sûr que non, mais subordonnées aux conditions de compétition économiques actuelles, la sûreté nucléaire ni ne peut ni ne pourra jamais, être totale.

Et bien sûr Ils ont raison d'observer que sur bien des réacteurs existants, les évaluations de sûreté ne prennent pas en compte l'exhaustivité des situations possibles.

Mais bien sûr Ils ont tort de dire que cela est dû à leur incompétence, et bien sûr Ils ont alors raison de dire que c'est encore plus grave,

J'en étais et
j'en sais quelque chose.

Bien sûr Ils ont raison de constater que jamais l'ensemble des situations possibles n'a été effectivement traité, en fondant les arguments sur des études probabilistes, destinées en pratique à économiser des dépenses par essence improductives, d'autant plus élevées que les situations apparaissaient improbables.

Mais bien sûr Ils ont tort de croire qu'aucun de ces "ingénieurs du nucléaire" n'a évalué les conséquences de l'ensemble de ces situations. Ils ont tort d'ignorer que pour cela les moyens d'expérimentation et les puissances de calculs déployés se mesurent en petaflops, et ne sont guère concurrencés que par ceux de Météo France.

Bien sûr Ils ont raison de considérer que répandre inconsidérément des radionucléides dans la nature conduit à des situations écologiques inexcusables. Aussi inexcusable que de répandre dans l'atmosphère des quantités incommensurables de gaz à effet de serre.

Mais bien sûr Ils ont tort de considérer que les radionucléides dépassent les "capacités scientifiques des meilleurs ingénieurs du monde". Je ne connais guère de ces "nucléaristes" pour se prétendre les meilleurs du monde... Mais juste pour rire, nos références universelles pour la mesure du temps ne sont elles pas fondées sur un radionucléide ?

Et qu'en est-il de l'énergie de notre soleil ? nucléaire.
Et de l'équilibre isotopique du carbone de son corps...? nucléaire.

Bien sûr Ils auraient raison de dire que ce qui est publié des Rapports de Sûreté des centrales ne fait pas un état exhaustif de ces situations : des défaillances multiples fortuites ou par défaut de mode commun des systèmes de sauvegarde, conduisant, à la façon de ce qui s'est passé dans le crash du Rio Paris, à la perte de tout contrôle.
J'en sais quelque chose.

Mais bien sûr Ils ont tort de ne pas aller plus loin dans le raisonnement, de ne pas séparer ce qu'est la conception de ce qu'est la conduite et la maintenance d'une installation industrielle, et ce de quelque nature qu'elle soit.
J'en sais quelque chose.

Bien sûr Ils auraient raison d'observer qu'aussi contraignantes soient les mesures de sûreté prises à la conception par les "ingénieurs du nucléaire" du constructeur, elles restent impuissantes pour parer les risques pris par les autres "ingénieurs du nucléaire", ceux d'un exploitant soumis aux contraintes de marchés concurrentiels.

J'en sais quelque chose, et par exemple je reste fort étonné de ce que les performances en terme de disponibilité (ce que les ingénieurs exploitants appellent le "Kd") des centrales belges de Doel 3 et Tihange 2 soient si élevées malgré une redondance de systèmes de sauvegarde qui en font - sur le papier - les centrales à eau pressurisées les plus sûres du monde. (en souriant entre nous, nous disions qu'elles seraient parfaitement sûres, puisqu'elles ne pourraient jamais même démarrer...). C'était il y a plus de trente ans. Ces centrales ont aujourd'hui une mauvaise réputation que les médias rapportent. Ils faut dire que certaines photographies en apparence anodines d'opérations de maintenance lourdes effectuées à Doel ont de quoi faire frémir : le percement des dômes des enceintes de confinement pour remplacer les générateurs de vapeur implique des relâchements de précontraintes du béton, puis leur reprise...

Heureusement la conception a prévu une peau métallique en plus des deux enceintes en béton.

Mais qu'Ils ne me disent pas que j'en sais rien. Ils auraient tort.

Bien sûr Ils ont tort de ne pas analyser pourquoi les exigences de sûreté étaient plus laxistes en France qu'en Belgique. Pourquoi les conflits d'intérêt et en conséquence l'absence en fait de séparation des pouvoirs entre l'entreprise nationale d'électricité et l'autorité nationale de sûreté nucléaire a conduit à ces comportements préjudiciables.

Mais Ils ont tort de ne pas analyser comment et pourquoi ceci a été compensé par cela : la culture d'un exploitant imprégné du devoir d'exellence dans ses obligations de service public.

Et bien sûr Ils auraient tort de sourire, tant cette institution qu'était EDF se comportait comme un État dans l'État, auto-convaincu de faire le bien dans l'intérêt général.
J'en sais quelque chose.
Son comportement lors de la tempête de 1999 en témoigne : il fût spontané, sans la moindre injonction hiérarchique, "à l'insu du plein gré" d'une Direction de l'entreprise déjà engagée dans le processus d'ouverture du capital.

Maintenant EDF est une entreprise de droit privé, éxercant ses métiers dans un contexte concurrentiel qui lui était étranger lors de la construction du parc de centrales nucléaire.

Ils auraient donc raison d'observer que du public et du privé elle cumule désormais les inconvénients. la confusion entre concurrence et compétition développe à la fois l'appât du gain, le goût pour l'optimisation de la rentabilité, et donc la chasse aux dépenses improductives. la sécurité et la sûreté nucléaire est ordinairement un poste dépenses à la fois lourdes et inproductives.

Mais Ils pourraient observer que maintenant, après l'accident de Fukushima, l'Autorité de Sûreté Française exige ce que l'Autorité de Sûreté Belge avait imposé il y a trente ans.
J'en sais quelque chose, pour avoir participé à la conception de réacteurs en Belgique :

Ils fallait qu'en cas d'accident d'origine extérieure, (tel que chute d'avion, explosion d'un méthanier, attaque d'un commando terroriste, tremblement de terre, tsunami...) la centrale se mette automatiquement en état d'arrêt sûr en attendant des interventions pouvant n'intervenir qu'au bout de dix heures... (Mais même si de telles dispositions avaient été prises pour les réacteurs de Fukushima, l'accident actuel évité, leur sûreté ne seraient évidemment pas absolues...)

Mais Ils auraient tort de faire injure à l'Autorité de Sûreté Nucléaire Française d'ignorer ce qu'exigeaient les Autorités Belges.
Ils auraient raison de se demander pourquoi elle a tant attendu. Aujourd'hui les technologies de l'information ne sont elles pas devenues telles que son impunité est devenue impossible ?
Il y a une sorte d'aporie de la sûreté nucléaire : à l'expérience ni la concurrence sur les marchés privés, ni les monopoles étatiques anciens ne sont naturellement favorables à la sûreté nucléaire. Bien au contraire.

Plutôt que de s'attacher à confiner sans lésiner ces nucléotides nocifs, les États comme les marchés s'attachent à confiner autant que possible les dépenses que cela nécessite... Car ces dépenses sont totalement dénuées de retour sur investissement.

Pourtant ces dépenses seraient de plusieurs ordres de grandeur inférieures au coût du réchauffement climatique que lui moi, nous tous, sommes à la fois fautifs et ignorants de la façon dont nous pourrions le réduire.

Tant qu'à choisir une outre de Pandore, permettez moi, pour la tenir fermée, de choisir la moins volumineuse.

Ils auraient donc raison d'observer que tout dividende versé par une entreprise nucléaire l'est au détriment des dépenses affectées au développement et au maintien de la sûreté des installations. Pour être technique, la question est aussi - voire surtout - économique.

Bien sûr Ils auront raison de considérer comme suspect tout ce que dit le moindre "expert" tant que ne lui sera pas formalisée une responsabilité pénale imprescriptible sur ses décisions et affirmations. Tout expert n'est il pas aujourd'hui fatalement impliqué dans un conflit d'intérêt ?

Si j'ai personnellement signé nombre de documents, nombre de plans, nombre d'études, dont je considère que je suis pénalement responsable des conséquences, j'ai conscience que ma crédibilité s'arrête là.
J'en sais quelque chose.

Bien sûr Ils auraient raison d'exiger qu'en contre-partie de la responsabilité pénale et donc de la compétence juridique allouée aux seuls collèges d'experts des Autorités de Sûreté, leur soit donné le pouvoir indépendant d'obliger les exploitants à prendre, en temps par eux exigé, toute mesure de Sûreté jugée utile, quelqu'en soit la hauteur des coûts imposés à leurs actionnaires. Et que ceci recouvre tout le cycle de vie des combustibles et des composants contaminés.

Mais tant que cela ne sera pas, Ils auront tort de prêter le moindre crédit aux déclarations de n'importe quelle personne et en particulier de n'importe quel politique, fût il ministre de gauche ou de droite, affirmant de façon péremptoire que telle ou telle installation est sûre.

Ou non.

à suivre, "Aporie Nucléaire".


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