Ontologie : Démocritique

Tribordais et Babordais



Si le vocabulaire de la politique emprunte volontiers celui de la marine pour ses métaphores d'un gouvernement, "babord" et "tribord" n'y sont guère employés, en lieu et place des mots de "gauche" et de " droite" .

Les usages réglementaires de la marine imposent des feux de position vert à tribord, rouge à babord, blanc à la poupe. Mais si le rouge convient bien à la gauche, le vert ne convient guère à ceux qui inclinent à droite, qui lui préfèrent le bleu.

Il en est des termes "gauche" et "droite" comme des pôles d'un aimant, inséparables : couper un aimant en deux ne permet pas d'en séparer les pôles : cela ne fait qu'en engendrer deux nouveaux.

Il en est de même de la droite et de la gauche de tout ensemble de choses comme de toute chose.

Il est des humains pour se dire de gauche, d'autres pour se dire de droite, pour signifier des appartenances à l'un ou l'autre de groupes humains qui n'existent que relativement les uns aux autres.

Par une expérience de pensée, séparez les, isolez les sur deux îles, et sur chacune d'elle le groupe se scindera en deux groupes "de gauche" et "de droite".

Et si passe le temps, revenant sur ces îles, vous ne trouverez plus guère de différence dans les dires et comportements les groupes respectifs "de gauche" et "de droite" de chacune des îles.

Les termes "gauche" et "droite", qui ne designent que des cotés d'une chose sont aussi connotés que les termes "haut" et "bas".

Nos héritages culturels privilégient le côté "haut" préféré au "bas", et le côté "droit" préféré au côté "gauche".

Ce qui est "bas" est mal, comme ce qui est "gauche" est "sinistre", dont l'étymologie latine ne dément pas le sens, alors que ce qui est "haut" est bien, comme ce qui est de " droite".

Ainsi sont les idées reçues, que l'observation met à mal.

Nos aïeux ignoraient l'inversion des côtés des cerveaux des humains. Leur modèle était donc faux puisque ce qui gouvernait leur main droite, ordinairement plus habile venait de leur côté sinistre gauche.

Il ignoraient aussi que c'est de ce côté que se traitaient leur faculté de se comprendre et de s'exprimer par le langage...

Tout le bien qu'ils prétaient à leur droite venait donc de leur gauche...

Il nous faut instruire le procès des intentions des connotations qui continuent d'altérer nos appréhensions des choses.

Ce qui est de droite évoque la conservation des ordres établis antérieurs, de la hiérarchie des choses, de la force mise en oeuvre pour le cela. Ce qui est stable, donc ce qui survit, donc ce qui est bien.

Mais ce qui est de droite est aussi le résultat destructeur de l'application de la force : ce qu'accomplit le viol de cette violence n'est-il pas le mal ?

Ce qui est de gauche évoque le renversement des ordres établis antérieurs, des hiérarchies, l'anarchie. Cela évoque qui est instable, donc ce qui met en danger, donc ce qui est mal.

Mais ce qui est de gauche est aussi l'aporie du pacifisme qui empêche l'exercice de la force nécessaire aux renversements de ces ordres établis antérieurs. Ce qui conserve la paix n'est-il pas le bien ?

Si l'architecture de leurs corps est équilibrée, qui ne privilégie a priori ni droite ni gauche, les humains ont des penchants, soit à droite, soit à gauche...

D'aucuns penchent à droite. Ils sont Conservateurs, usagers de la force, dominants. Dominants, ils disent la morale de leur éthique d'équilibre par la force. N'est-ce pas d'eux que vient la connotation positive allouée au terme de " droite", négative alloué au terme de "gauche".

Le dominant dit le Droit, terme étrange pour désigner le référentiel d'application des lois et la jurisprudence. Pourquoi pas le Gauche" ?

A l'expérience, qu'est-il de plus sinueux, pour ne pas dire, pour bien de ses aspects, de plus "tordu" que le "Droit" ?

Mais non ! le gauche c'est le maladroit (mal à droit) dit la doxa dominante, le malhabile, qui ne sait pas faire, qui ne sait pas dominer...

Il en est d'autres ont des penchants à gauche, et qui étrangement osent le dire, malgré sa réputation sinistre.

S'ils se manifestent, c'est par opposition aux exactions que ceux qui penchent à droite ont dû commettre pour conserver leur ordre des choses.

Mais s'ils penchent à gauche, ils répugnent à la force, jusqu'aux limites du tolérable.

Le tolérable est ce qui est dans le domaine de la tolérance, espace de jeu, de liberté.

En deça de l'intolérable, ils vivent et créent dans l'espace de liberté qui leur est laissé. En fait, par définition ce sont eux qui inventent tout, tant ce lui qui veut conserver ne saurait vouloir inventer...

Au delà de l'intolérable, par la violence les penchants à gauche renversent l'ordre des dominants, et remplacent à droite les hommes de droite.

Les dictatures s'avèrent toujours de droite, y compris celles qui se prétextèrent communistes. Le "prétexte", c'est le texte "d'avant", celui qui sert des espérences opportunes à des populations en colère. Alors que le prétexte est à gauche, le texte qui suit finit toujours à droite.

En dépit des apparences et des traditions, la droite, de l'homme s'avère le coté de toutes ses injustices, de toutes ses exactions. La gauche de l'homme s'avère le côté de tout ce qu'il rêve, de justice et de solidarité dont il se sait collectivement incapable.

Les hommes au pouvoir, qu'ils se disent de "droite" ou de "gauche" affectionnent des références maritimes qui datent de la marine à voile. Est-ce parce que cela évoque l'ancienne nécessité de louvoyer, de gouverner alternativement d'un bord ou sur l'autre ?

Ainsi bien les principales dictatures du vingtième siècle, qui se prétendant socialistes, qui se prétendant communistes en perdirent de fait l'essence même. A défaut d'autorité naturelle de gauche, elles imposèrent, pour les conserver des pouvoirs de droite. Ainsi Hitler, Lénine, Staline, Mao tse Toung, Fidel Castro ne se comportèrent pas différemment de dictateurs de droite tels que Franco, Salazar, Pinochet, Videla, pour maintenir leur vision de l'ordre des choses, avec de semblables clivages sociaux.

"Au temps de la marine de commerce à voile, les équipages étaient répartis en deux quarts, celui de bâbord (les bâbordais) et celui de tribord (les tribordais) afin de les différencier aisément, sous la direction d'un chef de bordée ou chef de quart", est-il dit dans l'encyclopédie Wikipédia.

Chaque bordée avait son couchage disposé du coté du bord dont héritait son nom.

La légende raconte des hostilités entretenues entre les deux bordées des équipages.

En l'occurence, s'ils étaient condamnés à l'alternance, cela n'empêchait pas chacune de critiquer la navigation de l'autre au changement de quart.

Cela était d'autant plus marqué selon que le vaisseau voguait babord amure ou tribord amure : En effet le confort des couchettes est très différent selon qu'elles sont du côté où le navire gîte ou non".

Ainsi la bordée qui n'était pas à la manoeuvre maudissait le travail de l'autre, l'accusant d'être responsable de l'inconfort qu'ils subissaient, en raison des vents et de la route suivie.

Au portant, grand largue ou vent arrière, les ressentiments restaient légers, tant la navigation était confortable, et nécessitait peu de manoeuvre.

Mais lorsque les vents étaient contraires, qu'il fallait tirer des bords pour les remonter, la vie était plus difficile.

Les virements de bords, qui nécessitaient de pénibles manoeuvres des voiles ne manquaient pas de réveiller les hommes du quart au repos, élevant leurs ressentiments contre la politique de ceux qui gouvernaient le navire.

C'était comme cela, dans la nature des choses. Si les hommes d'équipage se plaignaient de leur sort, ils n'envisageaient pas que puissent s'instaurer d'autres institutions.

La marine à vapeur devait venir bousculer tout cela.

Les navires n'étaient plus sensés s'incliner comme autrefois.

Plus rapides, ils n'étaient plus contraints de louvoyer entre droite et gauche.

Il reste bien sûr des changements de quart, mais ils se passent plus souplement, la puissance des machines venant assister les efforts autrefois assurés par les humains.

La transition de la charge de la gouverne du navire s'effectue sans à coup, en continuité...

Sans que nul ne pense souhaitable d'entretenir la moindre hostilité entre deux parties de l'équipage.

Les avions, formes modernes de plusieurs ordres de grandeur plus rapides des navires d'autrefois, n'ont jamais connu la nécessité de composer ainsi avec les vents.
Ils n'ont jamais louvoyé. Ils ne penchent pas alternativement à tribord ou à babord.
S'ils ont conservé des navires la couleur des feux,
tribord et babord, ils ignorent les antiques oppositions entre tribordais et babordais.

Désormais les avions volent à l'équilibre, comme marchent les humains. Le rapprochement n'est étrange qu'en apparence : pour être efficace les avions ont des voilures instables, comme est instable la position verticale de l'homme.

Ce qui est instable, donc ce qui met en danger, n'est-ce pas le mal ? Ainsi pense l'homme qui penche à droite avec son cerveau gauche.

Mais si l'avion moderne ne bascule pas, de même que l'homme ne tombe pas, c'est grâce à des asservissements dynamiques de posture. Ces asservissements, artificiels pour les machines comme naturels pour les humains compensent les penchants dangereux à droite ou à gauche, en avant ou en arrière...

Tout être humain a par nature des penchants, et tout penchant nuit à l'équilibre. La structure de son cerveau arbitre en permanence des oppositions, pour inhiber ses penchants, de droite ou à gauche, pour sa survie, à l'équilibre. Et pour un humain sain, ce n'est pas seulement sa posture physique, qu'il équilibre ainsi...

...Sans nécessité de se balancer alternativement à droite ou à gauche !

à suivre, "Je n'élirai pas !"


Démocritique

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