Décembre 2011 De l'entropie des choses militairesDe l'ordre et du désordre de toutes chosesL'organisation des choses ne s'apprécie que de façon relative, et cette appréciation est relative au point de vue depuis lesquelles nous les considérons. L'usage de toute langue impose d'une façon ou d'une autre de catégoriser les choses, mais les hommes n'auront jamais fini d'user de leurs langues pour remettre en cause ces catégories qui leur sont pourtant nécessaires. Ce peut être une manière de définir ce qu'est la culture. Chacun a sa façon de ranger ses affaires de sorte de pouvoir les retrouver. Ceci fonctionne bien lorsque sa mémoire en conserve une représentation accessible ; à défaut, il nous faut recourir à cet expédient qu'est l'écriture pour décrire cette façon de faire avec les mots d'une langue. Cette entité intangible qu'est le Temps tient son caractère irréversible à la manifestation de l'inéluctable désorganisation globales des choses. Et ce qui caractérise un instant tient à ce principe de la Nature, qui veut que l'accroissement de l'organisation en un lieu se paie d'une désorganisation plus grande en d'autres lieux, par d'inéluctables nécessités. Ce méfait du Temps qu'est la consommation de ses ordres par l'Univers est son essence même, par lequel le Temps se manifeste. Le développement dans le Temps de notre intelligence de la Nature est ainsi un phénomène diabolique, de séparation entre ordre et désordre, qui nécessite destruction d'organismes, et dégagement de chaleur. Cette chose intangible qu'est le Temps est nécessaire à cette autre chose intangible qu'est la musique. Dans notre perception, tout est musique dans l'Univers, qui n'est qu'agencement symphonique d'ondes. Des ressentiments.L'ordre et le désordre relatif des choses sont sources des motivations humaines. L'enrichissement est un ordre recherché ; cet ordre ici se paie toujours d'un apauvrissement ailleurs, désordre relatif nécéssairement plus grand. La Nature est ainsi, dont les lois engendre un univers hétérogène : auto-organisateur, l'ordre attire l'ordre, comme le désordre accroit le désordre. Ce phénomène n'épargne pas les humains dont les sentiments d'iniquité tournent au ressentiment. Comme toute « organisation terroriste » Al Qaeda est-il autre chose qu'une fédération de ressentiments partagés ? En tant qu'organisation, est elle autre chose qu'une façon de les catégoriser ? Chercher à détruire leur organisation en cours n'affecte les ressentiments que pour les amplifier. Les jardiniers savent que couper les rhyzomes fortifient les plantes. Lorsqu'elles altèrent et envahissent le jardin, il n'y a rien d'autre à faire que de traiter chacune d'elles individuellement. Ou de les empoisoner ensemble selon une modalité végétale de génocide. À défaut, avec du temps elles se réorganisent toujours. Il ne peut exister de paix tant que subsiste le ressentiment. Dans les tours du World Trade Center se traitaient les marchés mondiaux des matières premières, et la prédation conséquente des pays fournisseurs, en voie d'un improbable développement. La chose militaire peut être observée comme le développement de degrés toujours plus élevés d'organisation pour soi capables de la plus grande désorganisation pour un autre. Plus l'écart est grand, plus le système est efficace. De ce sommet le plus élevé possible de sophistication des systèmes d'armes jusqu'à l'abyme potentiel que l'on destine à autrui, l'entropie militaire ne souffre aucune rupture de pente. Et plus elle est élevée, plus elle est efficace. La différence de potentiel d'entropie est semblable à la différence de potentiel thermodynamique, dont le fonctionnement des machines dépend ; plus elle est elévée, plus le rendement est grand. Entre ce que que l'on appelle aujourd'hui complexe militaro-industriel qui de tout temps imagine des systèmes d'armes les plus sophistiqués et le simple fantassin envoyé en première ligne, l'entropie ne peut et ne doit qu'augmenter. Il faut moins d'entropie chez l'ingénieur de l'armement que chez le Général d'Armée, qui en a moins que le Général de Division, lui moins que le Colonel, et ainsi de suite Capitaine, selon l'échelle descendante des grades, Lieutenant, Sergent, seconde classe. Si Léonard de Vinci et Archimède sont des symboles du génie militaire le plus inventif, à l'autre extrémité Forrest Gump est montré comme l'archétype du soldat parfait, comme le sont les recrues de Full Metal Jacket. Entre eux s'intercalent Annibal, Napoléon, Clausewitz et Sun Tzu. En deça des grands généraux les échelons militaires ne sont guère des modèles, sauf pour quelques exceptions ; étrangement ce sont ceux qui ont transgressé la règle d'obéissance au principe d'entropie croissante sur lequel repose l'équilibre de tout système militaire. Le comportement du capitaine Dreyfus, son absence de révolte qui devait décevoir Emile Zola, ne montre-t-ils pas combien il avait intériorisé le niveau d'entropie assigné à son grade ? Nul n'imagine que dans cette inaltérable hiérarchie, qui que ce soit puise être autorisé sans inconvénient à plus d'intelligence que son chef. En dessous du fantassin, il n'y a que les forces ennemies, une fois détruites, pour avoir davantage d'entropie. A l'autre extrémité, rien ne semble limiter l'imagination des hommes pour accroître leur potentiel d'entropie, davantage que ce pourraient obtenir ses adversaires. Si Archimède, avec ses miroirs destinés à incendier la flotte des vaisseaux venus attaquer Syracuse en est un premier exemple mythique, les documents de Léonard de Vinci attestent combien l'art militaire et le développement des systèmes d'armes a toujours été à l'origine des plus grandes inventions. La plupart des technologies dont nous bénéficions pour des usages fort civils n'auraient pas vu le jour sans quelque intention destructrice initiale. A l'expérience, les budgets militaires sont rarement limités, ce qui développe naturellement l'intérêt des entreprises en charge de ces recherches pour le développements de conflits armés, quitte à armer indifféremment l'une et/ou l'autre les parties en guerre, et tester ainsi, en vraie grandeur l'efficacité de leurs inventions. la guerre des Malouines, devait illustrer ces pratiques étranges avec le torpillage du Scheffield par des missiles Exocet d'origine franco-britannique tirés par des chasseurs bombardiers Etandard issus d'ateliers français. Pourtant, localement, les différences d'entropie peuvent atteindre des sommets qu'aucun système militaire ne saurait atteindre. S'il est des grands sommets et de profondes vallées, il en est de plus escarpés qui sont loin d'être les plus élevés ou les plus profondes. À mi-hauteur, il est des territoires impraticables tant ils enchevêtrent de fines crevasses et de pointes rocheuses. Prise localement en ces lieux votre vie serait en danger, tant y avancer est impossible. Localement. Dans la java de la bombe atomique, Boris Vian évoque ainsi son oncle ingénieur inventeur d'une bombe atomique dont le rayon d'action de trois mètres cinquante semble être un défaut rédhibitoire, jusqu'à ce qu'il ait l'idée de réunir dans ce rayon tous les chefs d'État qu'il lui semblait suffisant de débarasser la terre. Quelques personnes inconnues, avec des moyens limités, sont capables d'un potentiel d'entropie aussi élevé que les plus sophistiqués des système militaires, avec une dynamique qui leur est inatteignable. Il leur suffit d'accepter de perdre leur vie pour l'accomplissement de leurs intentions. Il n'y a pas de potentiel d'entropie plus élevé que celui du sacrifice de sa vie. Le sacrifice des pilotes japonais, à la fin de la seconde guerre mondiale n'en est pas une référence exemplaire, tant leur mise en oeuvre a nécessité de moyens, à la fin d'une lutte sans espoir. Elle a été l'occasion d'une des premières applications d'avions fusée, ce qui en rattache l'initiative aux démarches classiques d'un complexe militaro-industriel. développé par des ingénieurs, mis à disposition d'unités militaires, confiés à des soldats dûment fanatisés pour développer autant que possible leur propre entropie mentale, les avions fusée okha arrivèrent trop tard, en trop petit nombre, avec une capacité d'entropie trop locale, de plusieurs ordres de grandeur plus faible que la capacité d'entropie des bombes d'Hiroshima et de Nagasaki, dont les États Unis étaient encore seuls à disposer. Lorsque le 11 juin 1963 Thich Quang Duc s'immole par le feu à Saïgon, il initie la mise à bas de la politique américaine de soutien de la dictature du président catholique Ngo Din Diem contre les forces communistes. Ensuite, inexorablement les États Unis devaient, pour la première fois de leur histoire perdre la guerre, contre une population dont le ressentiment envers eux n'en finissait pas de croître au fur et à mesure de leurs exactions. Les forces militaires utilisent le terme "pacifier" pour exprimer la situation fragile de l'ordre qu'elles obtiennent par la force. En milieux hostiles, les conditions de subsistance finissent toujours par les avoir à l'usure. Lorsque le 19 janvier 1969 Ian Palach, étudiant en Histoire Tchecoslovaque s'immole par le feu sur la place Vanceslas à Prague, il initie la mise à bas du régime communiste qu'Alexander Dubček n'avait pu réformer, imposé par l'URSS à la suite du printemps de Prague. S'il fallut vingt ans de patience pour que sa référence en vienne à bout, elle devait être à l'origine de la chute inexorable du parti communiste Tchécoslovaque à l'automne 1989. Lorsque le 17 décembre 2010 Mohamed Bouazizi, marchand de légumes à Sidi Bouzid en Tunisie s'immole par le feu, Il initie la mise à bas du régime dictatorial du gouvernement de Ben Ali. Cette fois, la tension sociale est telle qu'il fallut moins d'un mois pour que le régime tombe, suite à la fuite de Ben Ali en Arabie Séoudite. Ces trois gestes non violents, des plus violents qui soient, ont eu raison de pouvoirs en apparence infiniment plus grands. Ils ont éveillé à chaque fois dans la population un potentiel de ressentiment qui devait se révéler insurmontable, lentement ou rapidement, toujours inexorablement, quelques soient les moyens de puissance et de corruption en place pour s'y opposer. Face aux ressentiments d'un peuple, le potentiel d'entropie des forces militaires est dépassé, tant le désespoir d'un peuple s'avère désormais capable de développer localement, au prix du sacrifice volontaire de vies, un potentiel d'entropie pour elles indépassable. Pourtant les capacités d'entropie militaires n'ont jamais été aussi élevées, pour les pays disposant d'armes nucléaires. Mais, faute de différence de potentiel d'entropie suffisantes elles sont restées inutilisées depuis Nagasaki, aussitôt que l'union soviétique, puis l'Angleterre, la France, la Chine, l'Inde, le Pakistan, et Israël, en se dotant de ces mêmes potentiels, se sont neutralisés mutuellement. Une société ne se développe harmonieusement que dans l'abnégation du ressentiment d'autrui. Mais existe-t-il un seul exemple d'une société qui se soit développé harmonieusement ? Si les moyens de la guerre sont restés classiques, faute de pouvoir employer "des armes de destruction massives" en raison des rétorsions équivalentes qu'elles provoqueraient, ils ont à la fois largement bénéficié et lourdement souffert du développement fortement négentropique des technologies de l'information. L'invention d'Internet fut la boîte de Pandore de l'armée américaine. Conçu pour la protéger contre une attaque soviétique, le réseau des réseaux est devenu le moyen d'émergence de toutes les subversions. Et il a rendu insupportable toutes les exactions dont toute armée use pour sa domination. Il a aussi rendu insupportable les pertes humaines, immédiatement publiées, visibles du monde entier et réprouvées de même. Ainsi le potentiel d'entropie du soldat a très fortement régressé, quoique son équipement soit devenu de plus en plus onéreux et sophistiqué, lorsque sa mort affecte l'opinion de son propre pays. A l'inverse, la population civile de l'adversaire a acquis un potentiel d'entropie conséquent, chaque fois qu'elle est atteinte. Et ce même si dans l'opinion quelques dizaines de morts de civils étrangers peinent à créer la même émotion que la perte d'un seul de ses soldats. Face au suicide dévastateur de celui que son langage désigne par "Terroriste" et que ses adversaires nomment "Résistant", le fantassin est mentalement démuni. Le dressage entropique que toutes les armées ont de tout temps fait subir à leurs hommes de troupe ne les prépare pas vraiment à la moindre réflexion philosophique sur le sens de la vie. Du "théatre" des conflits, les hommes ne reviennent pas psychologiquement indemnes de ce qu'ils ont dû voir, de ce qu'ils ont dû faire. Leur réintégration dans la vie civile engendre inéluctablement d'insolubles difficultés sociales : en ce début de siècle, les défilés de troupes triomphantes ne se pratiquent plus guère, tant la légitimité des conflits est de plus en plus dénoncée. Malheur aux vétérans de retour des guerres modernes, du Vietnam, d'Afghanistan, d'Irak... Pour éviter cela, les armées préfèrent s'en tenir aux frappes aériennes. plus sophistiquées, plus chères, elles ont l'avantage de préserver une grande distance entre le tireur et sa cible. Doté d'un plus grand potentiel d'entropie, de par la capacité de destruction de ses missiles, le tireur bénéficie d'une formation plus élevée ; son entropie est donc bien plus faible que celle du fantassin. Sa perte est un malheur bien plus insupportable. On dépensera des trésors de moyens pour le récupérer s'il a du sauter en parachute chez l'ennemi. A l'expérience, lui qui a bénéficié d'un investissement intellectuel conséquent pour pouvoir mener la complexité de ses tâches, revient souvent encore moins indemne que le simple soldat de ce qu'il a vu et fait. Pouvant rarement se prévaloir d'une légitime défense, son entropie personelle en augmente en conséquence. Les missiles de croisière ont été imaginés pour apporter une solution à ce problème. Armes concrètes, leur mise en oeuvre résulte d'un travail abstrait. Leur parcours est préprogrammé, ils disposent de multiples capteurs pour connaitre leur position, leur trajectoire, leur cible, qu'ils viennent détruire aveuglément. Alors les drones viennent les remplacer. la frappe n'est plus aussi aveugle. Le problème se reporte sur les pilotes, qui depuis Langley ou d'ailleurs télé-détruisent leurs adversaires. Ce sont des spécialistes coûteux de leur système d'arme, de niveau d'entropie réduit en conséquence de l'intelligence que leur tâche requiert. Quoique protégés par leur anonymat et la distance entre leur bureau et le théatre du combat, ils en sortent d'autant moins indemnes. Après avoir froidement envoyés leurs missiles sur ce dont ils n'ont aucune certitude de la nature, combattante ou civile, ils rentrent chez eux en voiture, comme n'importe quel employé de bureau, retrouvent leur conjoint et leurs enfants. A l'inverse, le "Résistant" indigène, n'a pas ces soucis. Il concrétise le ressentiment que ses ennemis ont suscité chez ses concitoyens. Il est un héros lorsqu'il sacrifie sa vie pour sa cause dans un attentat. Ainsi fut Humam Khalil Abou-Mulal Al-Balawi qui, ceinturé d’explosifs, a tué le 30 décembre 2009 les principaux agents de la CIA américaine chargés de la traque des chefs du djihad international, décapitant ainsi les services secrets des forces d'occupation américaines. Mais maintenant il faut s'attendre à d'autres phénomènes, tant il est désormais facile à des prix très faibles, sans nécessité d'une organisation humaine par essence fragile, de développer des drones meurtriers, au moyen de quelques objets largement diffusés sur les marchés publics. Local, léger, mis en oeuvre avec la meilleure connaissance du terrain, leur potentiel d'entropie serait dévastateur pour tout corps expéditionnaire. De par sa légèreté, de par sa faible inertie, il aura toujours l'avantage d'une dynamique de réaction ordinairement inaccessible à un système militaire classique. "Quelle connerie la guerre", disait Jacques Prévert à suivre, "Référence Monétaire" |