décembre 2010 Plaidoyer pour l'identification de toute monnaieDans l'océan où fluctuent les monnaies, Nous vivons dans un monde de changes flottants depuis 1971, lorsque les réserves d'or entreposées à Fort Knox s'avérèrent insuffisantes pour couvrir les besoins d'argent que réquérait l'effort de financement de la guerre du Viet Nam. Richard Nixon décida alors d'abandonner la parité du dollar à l'or, fixée à $35 l'once par les accords de Bretton Woods. Sur le moment cela ne changea pas grand chose, tant l'inertie de l'économie était encore grande en ce temps là. Par temps calme, dans un port bien abrité, larguer sans autre geste les amarres d'un grand navire ne le fait pas partir pour autant. Mais lorsqu'à la longue il s'écarte, vient alors insensiblement le moment où ses amarres sont trop courtes pour être utilisées, et il faut employer d'autres moyens pour le ramener à quai. Ainsi ont les masses monétaires mondiales sont parties à la dérive, plus ou moins bien rattachées à une monnaie elle même rattachée à rien ! Certains économistes souhaitent l'organisation d'un nouveau « Bretton Woods ». Certains disent qu'à défaut de référence monétaire fiable, la maîtrise de l'économie mondiale sera toujours problématique. Alors ? Lorsque dans un domaine un problème est resté irrésolu, ne faut-il pas alors chercher sa solution dans un autre domaine ? Il faut donc oser... Il existe un domaine à la fois humain et immatériel dont il est possible de s'inspirer pour donner à la monnaie une référence fiable, pourvu que l'on convienne de l'établir. Est-ce un juste retour des choses ? On en devrait la faisabilité à ces technologies de l'information qui ont largement contribué aux dérèglements actuels. Pour cela il faut en raconter ici quelques caractères : lorsque dans les années soixante-dix le projet Arpanet développa ce qui devait devenir le protocole Internet, il dût affecter à chaque machine un identifiant, nécessaire pour qu'elle soit reconnue comme noeud du réseau. Il fit gérer et partager par ces machines des tables contenant les listes des adresses identifiant chaque ordinateur connecté. Tout ceci fonctionna tant et si bien qu'il fallut une organisation pour enregistrer les demandes d'adresses afin que le réseau des réseaux Internet puisse se développer dans le monde entier. Pour cela une association indépendante, l'ICANN, a été créée à la fin des années quatre vingt dix, qui assure la gestion de l'attribution des noms de domaines et d'adresses « IP », identifiants uniques à chaque instant de chaque machine connectée. Ainsi, ce commerce de l'émission d'un objet totalement immatériel, une composition de nombres entiers, est essentielle au fonctionnement de « l'économie » du réseau des réseaux, au sens étymologique du terme. Ce qui a été techniquement réalisé pour l'organisation de l'Internet pourrait-il être transposé à l'émission monétaire ? Aujourd'hui l'argent n'est effectivement identifié que sous la forme de billets de banque. Les pièces de monnaie ne le sont pas. Et lorsqu'il est porté à un compte, l'argent n'apparaît que sous la forme d'une somme, ce n'est que l'affectation d'un montant à un numéro de compte : rien ne permet de discerner l'argent sous forme scripturale1. N'est-il pas philosophiquement problématique d'accorder une valeur à ce qui est à la fois réplicable, indiscernable, de sorte que l'on peut parfois en contester l'existence même ? S'il est devenu indispensable pour l'économie que la monnaie soit dématérialisée, ne serait-il pas utile en contrepartie qu'elle devienne discernable ? S'il n'est plus possible de le fonder sur un bien matériel, appuyer l'argent sur des objets mathématiques n'est-il pas la meilleure façon de l'abstraire des contingences physiques ? Imaginons que tout compte, au lieu d'enregistrer un montant, enregistre une liste fermée de numéros, dûment émis et gérés par un réseau de banques centrales, ainsi qu'elles le font actuellement pour les billets de banque. Imaginons que les anciennes références mouvantes des monnaies que furent l'or et l'argent, ou les cauris en Afrique, soient remplacées par un étalon mathématique inaltérable, émis par un consortium de banques centrales : des identifiants2 uniques. Imaginons que les banques les émettent en nombre, à la façon dont elles émettent des billets de banque. Elles mettent en circulation du papier monnaie avec un jeu de valeurs nominales adaptées aux niveaux des transactions courantes du commerce de détail. Ce principe qui fonctionne fort bien depuis des siècles pour la monnaie fiduciaire peut s'appliquer à la monnaie scripturale. De nos jours, grâce à l'efficacité des réseaux de télécommunication, la pratique des cartes de crédit et des porte-monnaies numériques a étendu le domaine de l'usage de la monnaie scripturale jusqu'aux plus petites transactions. A-t-on donc encore besoin d'une monnaie fiduciaire ? Pourrait on dématérialiser les billets de banque selon des modalités semblables à celles pratiquées aujourd'hui pour des billets d'avion ou des billets de train ? L'usage croissant des porte-monnaies électroniques les remettent en cause. L'usage des chèques tend aussi à se restreindre. Ne sont ils pas, comme les billets de banque les héritiers des anciens billets à ordres signés et cachetés sur papier libre ? Autrefois les usages autorisaient, par l'adjonction de signatures, la transmission de ces billets à ordre de porteur en porteur. Il fut un temps où les chèques, forme moderne de ces lettres de créance, étaient ainsi « endossables », par une simple mention au dos du changement de leur destinataire. Il y a bien longtemps que cette pratique dangereuse a été interdite, les banques n'imprimant plus que des chèques « barrés ». Mais pourquoi ce qui a été interdit aux particuliers reste-t-il autorisé aux banques ? Qu'est ce la mise sur le marché de titres de créance, sinon leur endossement par leurs acquéreurs ? Lorsque la valeur d'une créance change au cours du temps, l'émission d'un titre n'équivaut-il pas à l'émission de monnaie ? N'est ce pas une violation du privilège de « frapper monnaie » que les royaumes ont concédé depuis fort longtemps aux banques centrales ? Pour être discernables, les billets de banque émis par privilège des banques centrales sont de fabrication complexe, numérotés, coûteux à produire. S'ils sont « au porteur » cela n'a-t-il pas pour principal objet d'éviter l'identification successive du créancier qu'il représente, lorsqu'il passe de mains en mains ?
Techniquement la complexité de l'enregistrement de telles transactions n'est guère supérieure à celle du paiement par carte bancaire. Seul le logiciel standard de gestion des transactions nécessite d'être adapté, et étendue la mémoire des cartes à puce. Est-ce bien différent de ce que l'on connait aujourd'hui ? Le systèmes de gestion des transactions qui effectuent les transferts de sommes entre comptes de personnes morales ou physiques, traitent alors des affectations d'objets identifiés. Seul changement, l'histoire en est tracée. À l'instar des monnaies fiduciaires et divisionnaires seule une banque centrale peut les émettre et les résorber. La question de la valeur d'une telle monnaie est récursive : que valait un Cauri en Afrique si ce n'est le résultat de sa rareté ou de son abondance ? N'en était il pas de même en Europe des pièces d'or et d'argent ? À rendre discernable la monnaie scripturale, son volume en circulation est connu de façon fiable, donc sa valeur est maîtrisable. L'aspect politique des règles assignées aux banques centrales pour l'émission de cette monnaie en fonction des états économiques n'en est pas différend de celui d'aujourd'hui. Mais ne serait-il pas techniquement plus maitrisable que ce ne l'est actuellement ? L'identification de la monnaie scripturale ne permet pas seulement d'en contrôler l'émission, elle permet aussi et surtout d'en contrôler la résorption4. Il en est ainsi du sang dans un corps humain, dont il est la principale monnaie des échanges vitaux. Pour ce qui nous concerne, l'équilibre de nos vies nécessite ce remplacement constant, sans inflation ni croissance. Est-il quoique ce soit pour justifier qu'il en soit différent pour nos économies ? Le secret bancaire pour l'évasion fiscale, l'argent « sale » et son « blanchiment » peuvent-ils survivre à un tel système monétaire ? Tout ceci aurait été techniquement impensable il y a quelques années. L'extension et le développement des capacités de communication d'Internet, la très forte réduction du coût et la miniaturisation des mémoires numériques, tout cela l'a rendu possible. Ce n'est qu'une question de code à développer, et de procédures informatiques à instaurer. Alors que l'on commence à expérimenter l'effet dévastateur des déréglementations, tout le monde semble réclamer de nouvelles « régulations ». Mais combien parmi ceux là savent ce qu'est formellement une « régulation » ? Qui connait les lois de cette discipline scientifique ? Au moins, à ceux là ne faut-il pas enseigner qu'il n'est ni pratiquement ni théoriquement possible de réguler un phénomène sans s'appuyer sur une référence de mesure invariable ? Rendre discernable par son identification l'ensemble de la monnaie donnerait aux banques centrales le moyen d'attribuer une référence de mesure incontestable à toute valeur. Bien que paradoxalement cette référence soit dénuée d'autre valeur intrinsèque que les noms qui lui sont attachés, la garantie de leurs unicités, vérifiable à tout moment, est un gage de la confiance qui lui sera accordée. L'adoption d'une monnaie se fonde sur la confiance que l'on lui prête. Ceci s'opère par mimétisme, chacun préférant reconnaitre l'unité de compte la plus partagée. Ceci s'opère par obligation, lorsque une institution l'impose pour le financement -par l'impôt - des charges communes. Cependant si l'institution peut imposer un prix en contrepartie de ce qu'elle apporte, cette évaluation se limite à cela, et les autres échanges restent libres d'estimer leur propre crédit, soit leur propre croyance, dans la valeur de l'unité de compte imposée. En fait cela repose sur les modalités d'émission monétaire : sur quelles bases se fonde-t-elle ? La mainmise des États sur les banques centrales engendrent la tentation de compenser les déficits par de l'émission monétaire, quitte à ce que de l'inflation naisse la méfiance monétaire et en conséquence la destruction de l'équilibre économique. A l'inverse la simple séparation des banques centrales pour juguler l'inflation est incapable de maîtriser les déséquilibres par accumulation de richesse et dévaluation compétitive de la valeur des biens essentiels à la vie des communautés humaines. Pour que ce crédit ne dérive pas, et que les espérances des créditeurs restent toujours fondées, il est nécessaire que les unités de compte soient attachées de façon formelle aux jeux de biens indispensables à la vie sur terre, dont l'ensemble par nature inexpansible. En quelque sorte il s'agit de s'assurer que la masse monétaire émise corresponde toujours à ce qui est nécessaire à la résolution de transactions effectivement réalisables à court terme. Et d'empêcher qu'elle puisse s'enfler des faux espoirs expansionistes sur lesquels vivent ordinairement les financiers, et qui de crise en crise, se désolent de réaliser qu'ils ne peuvent se réaliser. En quelque sorte encore, il s'agit de rendre à l'argent son rôle de simple intermédiaire entre transactions, autorisant leur espacement dans le temps, le fractionnement de leur valeurs d'échange et la pluralité des acteurs que le troc ne permet pas. Et de le restreindre de façon rigide à ce simple rôle5. Cela suppose que l'émission de tout titre identifié soit attachée à une part aussi identifiée d'hypothèque sur des richesses tangibles vitales identifiées de façon formelle, auprès des banques centrales. ÉtatCe n'est pas une pratique inédite : les égyptiens anciens confiaient ainsi en garde une part de leurs récoltes auprès des magasins de l'administration pharaonique, ce moyennant un taux de prélèvement pour en obtenir des contremarques identifiées de céramiques pour leurs échanges courants. A la différence des anciens étalons fondés sur des réserves d'or ou en France des assignats révolutionnaires fondés sur des biens confisqués de l'Eglise, il s'agit d'hypothèques sur les ensembles de biens vitaux mis en commerce, et non sur des ressources en quantité fermées, inadaptables aux évolutions des nécessités quotidiennes des échanges. A l'expérience, les références monétaires des ensembles fermés ont toujours dûs être compromises, puis ensuite abandonnées. Au contraire, il est nécessaire que chaque citoyen puisse prétendre à enregistrer ou résorber une hypothèque auprès d'un émetteur de monnaie sur la base d'un bien vital qu'il met en commerce. La masse monétaire ne peut être gagée que sur l'ensemble de ces hypothèques. L'identification d'une unité monétaire étant exactement celle d'une part d'hypothèque identifiée, elle hérite de son cycle de vie, de sa création lors de la mise en commerce d'un bien ou un service, jusqu'à sa résorption lorsque ce bien ou service disparait, qu'il soit consommé, obsolète ou simplement détruit. De par leur rôle de conservation des hypothèques, dont une grande part est par nature locale, les banques centrales ont vocation à former une fédération d'émission de monnaie commune délocalisée. Elles conservent chacune la prérogative d'assigner sa part d'identifiant aux unités de la monnaie commune correspondant aux hypothèques que chacune conserve. Les droits hypothécaires créent un intérêt négatif sur l'économie réelle. qui est subi par l'ensembles des acteurs financiers, et en premier les banques, pour l'acquittement des frais de garde. Cet intérêt négatif est indispensable à l'équilibre de l'économie, en ceci qu'il doit compenser en totalité les taux d'intérêt positifs qu'elles exigent pour la rémunération de leurs avances temporelles de fonds monétaires. De tels systèmes de références ne sont ils pas nécessaires, sinon suffisants, pour fonder la stabilité des économies ? Si effectivement cela ne saurait suffire pour obtenir des équilibres satisfaisants sur la valeur relative des biens et des travaux, nous verrons comment cela appartient au rôle et au pouvoir d'un système d'asservissement fiscal adapté à la dynamique accrue des échanges de les réaliser. Mais sans tracabilité de l'argent et de sa valeur, quelle régulation peut prétendre maintenir un quelconque équilibre ? Note : 1 "Cent thalers réels ne contiennent pas le moindre élément de plus que cent thalers possibles. (...) Mais quand il s'agit de l'état de ma fortune, il y a plus avec cent thalers qu'avec leur simple concept (c'est-à-dire leur possibilité)" (Emmanuel Kant) 2 Techniquement ce pourraient être des identifiants XML (eXtensible Markup Language) métalangage des expressions informatiques, recommandé par le World Wide Web Consortium, universellement adopté par la l'ensemble des acteurs du domaine de l'informatique. XML est en quelque sorte un Esperanto qui a réussi.
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On peut imaginer la scène d'un rendez vous pris par un « porteur » avec le représentant du gouverneur de la banque, signataire du billet, pour lui demander d'exécuter sa promesse...
4La résorption de la monnaie est une clé des équilibres économiques, qu'actuellement les institutions ne traitent que par la dévaluation de l'argent qu'engendre l'inflation. Transposé à un corps humain, ce serait comme si le sang devenant de moins en moins efficace pour apporter oxygène et nutriments il en fallait toujours davantage, avec les multiples inconvénients d'hypertension, de thrombose, d'oedèmes, qui ne sont souhaitables pour personne. 5 Pour prendre une analogie physique emprunté à la mécanique quantique, l'argent n'est alors qu'une sorte de boson intermédiaire à courte durée de vie entre deux intéractions physiques fortes, tel qu'ils se représentent sur un diagramme de Feynmann... |