Ontologie : Démocritique

janvier 2008

Acyberespace



Cyberespace est un néologisme masculin à la mode, destiné à renommer avec quelque emphase le réseau des réseaux et ses divers protocoles.

Formé à partir d'une évocation de cette discipline d'ingénieur et de mathématiciens que l'on nomme cybernétique, il a donné à des auteurs de référence l'occasion de publier nombre d'ouvrages et d'articles à sensation.

Sans autre réflexion sur sa pertinence1, ce néologisme s'est depuis répandu et popularisé, quelque fois pour ne désigner que des sites de publication sur le Web de quelques communautés locales, (le cyberespace de la communauté urbaine de...) tout en conservant son intention première, qui semble être de désigner tout ce qui permet de supporter par des réseaux électroniques les échanges des humains via leurs machines. "via" et non "vers".

Ainsi est né un contresens, tant ce néologisme est mal formé : à l’analyse, il aurait fallu le doter d’un préfixe privatif, ce qui aurait donc donné "acyberespace", rétablissant la réalité qui caractérise la chose en question.

A l’expérience, nul ne peut maîtriser quoi que ce soit dont la dynamique est plus élevée que ce dont il dispose pour cette maîtrise. Ceci est notoirement expliqué et confirmé par des représentations mathématiques formelles en usage chez les automaticiens, qui ordinairement s'en tiennent à ne les appliquer qu'à des systèmes matériels. Aussi désagréable que cela puisse être, force est de constater qu’il en est ainsi pour tout ce qui se gouverne, des artefacts ou des êtres vivants, des ensembles de machines ou des communautés humaines. N’est-ce pas pour désigner ce qui a trait au commandement des hommes que André-Marie Ampère avait introduit le terme « cybernétique » ? Et plus tard, Norbert Wiener, dans un document fondateur « Control and communication in the animal and the machine » devait confirmer sa définition de la cybernétique comme science formelle du contrôle par rétroaction de tout système, qu'il soit matériel ou humain.

Les fréquences propres et l'ampleur (le "gain" au sens formel des automaticiens) des phénomènes émergeant sur le réseau des réseau dépasse toutes les capacités de contrôle existantes, privées ou publiques.

Aussi grandes soient leur puissance et leurs capacités de nuisance, l'expérience comme l'analyse montrent qu'elles ne peuvent maîtriser des phénomènes collectifs de décisions imprévisibles qui se propagent à des fréquences de plusieurs ordres de grandeur supérieures à ce qu'elles peuvent mettre en oeuvre pour les contrôler, aussi bien légalement que matériellement.

Une dictature peut au nom de sa loi fermer un réseau, mais cela met l'économie du pays en péril, puisque le commerce ne peut plus s'en passer longtemps sans dépérir. Peut elle y survivre longtemps ?

Une démocratie garante des libertés individuelles ne peut agit ainsi. Elle est de ce fait matériellement incapable d'autre chose que de voir et de subir sans pouvoir réagir ce qui advient sur cet océan, que ce soit le calme ordinaire, le vent des tendances, ou les tempêtes révolutionnaires.

Il est de bon ton de s'en réjouir lorsqu'il s'agit des pays d'Afrique du Nord. Mais dans le secret des administrations privées ou publiques, chacun ressent confusément qu'il en est du web comme il en est de la mer, où "trop fort n'a jamais manqué". Chacun sait l'ampleur et la dynamique qu'on lui doit des dernières crises économiques.

Nul n'a jamais gouverné la mer. Cela n'empêche pas de naviguer dessus, à ses risques et périls, selon les prévisions météorologiques.

Pour la mer nous avons des millénaires d'expérience, et pour amples qu'ils soient, ses phénomènes ont des fréquences propres humainement appréhendables. Pour le réseau des réseaux nous n'avons guère plus que deux dizaines d'années. Mais nous y avons déjà eu l'expérience de plusieurs naufrages économiques

"Nul ne peut maîtriser quoi que ce soit dont la dynamique est plus élevée que ce dont il dispose pour cette maîtrise".

Pour ce qui est de ce qui circule sur le web, force est de constater que rien n’est moins "gouverné", ni même "gouvernable". N’est-il pas chaotique, au sens mathématique du terme, et toute sa richesse ne vient-elle pas de ce qui en émerge, pour le meilleur comme pour le pire, « ingouvernable » de par sa très grande dynamique propre ?

N'est il pas symptomatique de ce fait que le W3C n’émette que des "recommandations" que l’on est en droit librement d’adopter ou non, et non des "directives" (comme le fait par exemple dans son rôle la commission européenne) ou des "Normes" que l'ISO vent et que les États cherchent parfois à imposer?

Il est regrettable que la discipline des automaticiens ne soit guère être enseignée de cette façon dans les écoles d’administration des États ou de ménagement des entreprises comme dans bien des écoles d'informatique.
On n’y voit guère évaluées de façon formelle les notions de « fréquence propre » d’un phénomène socio-économique, ni de « constante de temps » ou de « fonction de transfert ».
À l’évidence les termes « d’amortissement » et de « gain » n’ont pas le même sens dans leurs terminologies habituelles que dans celles des domaines scientifiques du traitement du signal, de la mécanique, de l’électronique, et des automatismes en général.

Bien sûr ces derniers temps le terme "régulation" est devenu à la mode, mais avec des significations bien éloignées de son origine formelle. Tout se passe comme si chacun en ressentait à la fois une intense nécessité et une immense inquiétude quant à ses conséquences. Parce que pour les automaticiens le terme "régulation" est synonyme de "asservissement", terme a priori insupportable pour qui se veut un tant soit peu humaniste. De par les mauvais usages qui en ont été faits, tout ce qui a trait aux automatismes est négativement connoté. Et pourtant ceux qui les décrient en font de multiples emplois qu'ils ne perçoivent guère, dont ils bénéficient en toute humanité, tant ces asservissements ne sont qu'à leur service.

"Régulation" est donc passé par l'anglais, qui l'apparente à ce que le français désigne par "réglementation", plus acceptable, mais en lui conservant un parfum rassurant de système destiné à équilibrer les choses... ...sans s'en donner les moyens.

à suivre, "Des équilibres économiques"..


Démocritique

1 Albert Camus : « Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde. »

image/svg+xml Conception : Henry Boccon-Gibod Page c emploie le terme P Régulation Equilibre cybernétique précède IF Des équilibres économiques ≤ 1 suit P Référence Monétaire acyberespace