Ontologie : Démocritique

Mai 2012

économie minérale, économie organique



Il est des époques dont le contexte pousse à d'inéluctables évolutions de la façon dont s'organisent les civilisations. Faute d'avoir pu évoluer certaines ont disparu. Si d'autres sont apparues pour les remplacer, cela s'est toujours passé dans la douleur d'un long enfantement.

Sommes nous dans une telle époque ?

Saurions nous la reconnaître ?

Lorsque les équilibres sont rompus, lorsque l'on est incapable de les conserver, être "conservateur" n'est plus de mise.

A quels concepts institutionnels chacun devra-t-il renoncer ? Par quels nouveaux fondements faudra-t-il les remplacer ?

Comme pour toute recherche, il est utile d'élargir l'étude des états de l'art, et pour cela de faire des démarches d'évaluation comparatives1 dans des domaines en apparence dissemblables.
Il est nécessaire pour les apprécier d'y transposer le vocabulaire de ce que l'on y recherche.

Au commencement l'économie universelle était plutôt libérale.

Avant l'avènement de la vie, l'économie de l'univers, au sens étymologique οἰκονομία, oikonomía (« gestion de la maison ») fonctionnait sur un libéralisme tout à fait débridé. Le marché des échanges de l'énergie et de la matière sous toutes leurs formes n'était régi que par les modalités de ces sortes de "lois de l'offre et de la demande" que représentent les équations de Maxwell, d'Einstein, de Bose, Bohr, et Heisenberg.

Après l'épisode de cette grande distribution initiale que les astrophysiciens supposent, et qu'ils ont fortuitement dénommé « Big Bang », l'univers s'est structuré selon ces seules lois de marché.

D'après leurs observations, matière et l'énergie se sont alors très inégalement réparties. Initiées par le hasard et la nécessité d'agrégations locales, les étoiles ont accaparé et transmuté tout les richesses qui les entouraient.

Elles ont été elles mêmes l'objet de grandes opérations de fusion acquisition pour être intégrées dans ces multiples sortes de holdings que constituent les galaxies.

Les phénomènes qui se déroulent au sein de ces groupes sont d'une violence fantastique, au regard de laquelle le comportement cynique de nos pires acteurs financiers fait figure de simple bagarre sans conséquence dans une cour de récréation.

Ce que certains physiciens nous disent, c'est que le fonctionnement apparent de tout ceci ne pourrait exister sans une énorme masse de matière noire.

Ils la disent noire parce que cette matière leur est invisible. Elle leur est actuellement intouchable, hors des catégories connues, à la manière des hors-castes, les intouchables de la société Indienne, indispensables à son existence même.

Ainsi, avant l'avènement de la vie l'univers s'est hiérarchisé en de petites parties démesurément riches en matière et en énergie, et un immense espace économiquement pauvre en évènements, dans lequel se cacherait un potentiel en apparence inexploité de matière noire.

Dieu joue-t-il ou non aux dés ? Qu'importe finalement l'opinion d'Einstein sur la question : Dieu n'intervient guère sur les phénomènes qui émergent naturellement des lois initiales de l'offre et de la demande qui régissent l'univers, fruits du hasard et de la nécessité. Il suffit de lui en accorder ou non la paternité, selon ses propres convictions : Chacun cerne à sa façon dans son champ lexical sa conception de la divinité. A l'expérience celle des physiciens n'est pas celle des philosophes.

Lors de ce commencement, il n'y a pas encore d'humain pour qualifier de « magnifique » les formes spirales en lesquelles s'organisent les étoiles des galaxies, ou « d'effroyables » les explosions d'étoiles, les astres qui se percutent et se dévorent entre eux, ou les gigantesques, lentes, monstrueuses collisions entre galaxies.

Les atomes sont engagés, associés, exploités, transmutés, dispersés, selon le contexte des champs d'intérêt (pardon, de force) des astres. Ces transactions économiques sont sans états d'âme (qui a une âme en ce temps là ?) selon les règles du jeu en cours.

S'il y songeait, la quantité de micro-transactions à la seconde qui s'opèrent alors ferait rêver le moins cupide de nos acteurs financiers de notre vingt et unième siècle.

L'univers est en expansion. Phénomène majeur de cet univers selon les cosmologues, la croissance constante de cette économie expliquerait l'équilibre que l'on observe des choses. Il en serait tout autrement selon eux s'il était en phase de contraction. Il est difficile d'imaginer ce que seraient les conséquences d'une telle crise...

Si tel est le comportement de l'univers, il résulte des mœurs de ses constituants, par essence de leurs éthiques. Une grande diversité d'éthiques.

Qui est sensé juger des mœurs de l'Univers ? Ces éthiques initiales sont-elles donc bonnes ou mauvaises ? Il n'y a pas plus de morale dans le comportement de l'Univers que dans celles de toutes les autres formes d'économie libérale.

Et l'éthique n'est en soi ni le bien ni le mal.

En quelque sorte Dieu se tait. Nulle part dans l'espace et dans le temps il ne manifeste une quelconque intention.

Manifester une intention ? N'est-ce pas est une notion temporelle ? Dieu peut-il être autrement qu'au delà des contingences du temps de l'espace et de la matière ? il ne s'y inscrit guère.

Ces éthiques de la Nature se sont développées jusqu'à l'avènement de la vie, et elles continuent inexorablement de le faire.

À ce que l'on en sait, lorsque cet événement organique eut lieu, ce fut local, sinon fortuit. Et pour l'essentiel, le reste de l'Univers n'en fut guère affecté, et continua l'expansion libérale de son marché, d'essence minéral.

Cela a commencé lorsque par hasard ou par nécessité, des molécules semblables se sont assemblées pour former des surfaces, puis lorsque quelques unes de ces surfaces se sont refermées sur elles mêmes. Alors le marché des échanges naturels a été séparé : il y eut des marchés intérieurs aux cellules, communicant avec un vaste marché extérieur.

Accolées les unes aux autres les cellules ont échangé, en régulant2 ces échanges au moyen de leurs membranes, promouvant ou non ceux-ci selon les nécessités de chacune.

Ainsi la Vie est apparue par une distorsion locale des lois du marché de la physique.

Avec le temps, de façon empirique, tout fût essayé ; ce qui ne fonctionnait pas s'est éliminé de lui même par la mort des solutions au hasard tentées.

Ce qui fonctionnait s'est conservé en inscrivant dans ces cellules les raisons de ce fonctionement. Dans les seuls éléments qui s'y trouvaient et qui pouvaient le supporter - des molécules - se sont écrites les consignes des asservissements des échanges, leurs conditions dynamiques d'homéostasie. L'équilibre transcendé de leurs existences successives, par héritage de leurs lois plus que de leurs biens. Leurs biens ? À la fin de l'existence de chaque cellule, ils sont dispersés, sur le marché extérieur, à l'usage de qui celles qui pourront des cellules qui passeront par là.

Pour leur équilibre et la survie de leurs espèces, elles se sont construites des économies, au sens étymologique du terme, qui n'ont rien de libéral : tout échange y est dûment contrôlé, avec la dynamique nécessaire et suffisante pour assurer la vie de chaque cellule, en y appliquant les règles rigides des organismes pluricellulaires auxquelles elles appartiennent, dûment inscrites dans chacune des cellules. Si chacune y a son rôle, chacune a inscrite en elle-même la connaissance de l'ensemble des lois d'équilibre économique qu'elles est tenue de respecter.

Il n'est point de vie possible sans ces distortions réglementaires des marchés ordinairement libéraux des lois de la physique.

L'organisme gère l'ensemble des cellules qui le compose par une sorte de fiscalité indirecte, qui régule, au sens des automaticiens du terme, les échanges économiques entre cellules. Le bon fonctionnement de l'ensemble bénéficie des règles fiscales inscrites dans l'ADN de chaque cellule, qu'elle respecte comme étant parties d'elles-même.

Les règles en question sont des plus paradoxales, qui impliquent dès la naissance de chaque cellule sa mise en condition mortelle, et n'assurent sa vie qu'en inhibant régulièrement ces mécanismes d'auto destruction...

Evidemment il arrive que ces règles soient perturbées, que certaines cellules déjouent ce mécanisme, et reproduisent localement leur modèle dominant de cellules capables de vivre sans obéir aux règles communes, avec leur propre économie de croissance indéfinie.

Elles procèdent par fusion-acquisition, s'établissent au détriment des autres cellules, emportées par leur succès, elles créent des filiales un peu partout dans l'organisme, et y imposent leur loi ignorante de son équilibre vital. Ainsi l'organisme meurt de cancer économique...

Comment cela se fait-il que les lois de la vie soient ainsi déjouées ? C'est là une question à laquelle la recherche sur le cancer a de multiples réponses.

Mais heureusement tous les êtres vivants n'en souffrent pas. Et s'ils sont constitués ainsi, avec des régulations automatiques rigoureuses, qui consignent leurs conditions vitales, n'est-ce pas le fruit de millénaires de recherche des meilleures institutions qui maîtrisent leur économie ?

Cela n'enlève rien à leur liberté d'agir au dessus des contingences de leur économie et d'entrer en relation les uns avec les autres, pour le meilleur et pour le pire.

La Vie exploite les lois de l'offre et de la demande d'une économie de marché dont elle a asservi rigoureusement les conditions d'exercice de chaque transaction.

Pour un vivant, qu'est-il de plus beau et de plus abouti que la Vie ?


à suivre, "Des pays exemplaires".


Démocritique

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1Note :
Réguler, régulation sont pris ici au sens des champs lexicaux des sciences exactes, dans lesquels ils sont associés aux termes asservir, asservissements, et supposent l'existence de « consignes » et de « fonctions de transfert » préalablement établies,

2 L'analyse comparative est plus connue sous son apellation en langues anglo-saxones de "benchmarking"

image/svg+xml Conception : Henry Boccon-Gibod Page c à voir aussi S Référence Monétaire Lettre ouverte à Agnès Bénassy-Quéré Des équilibres économiques Des pays exemplaires précède IF Des pays exemplaires emploie le terme P Equilibre Régulation Croissance ≤ 1 suit P Des équilibres économiques économie minérale, économie organique