Ontologie : Démocritique

Février 2015

Lettre ouverte à Ségolène Royal



Madame la ministre,

De votre intention de construire de nouveaux réacteurs nucléaires de production d'électricité permettez moi Madame d'en douter, de la faisabilité comme de la pertinence, c'est pourquoi je vous adresse cette lettre ouverte.

Après quarante années de travail pour cette industrie, j'ai quelques raisons fondées de penser que ce n'est pas votre meilleure idée.

Dans le contexte français et européen actuel, pour des raisons non seulement sociologiques, écologiques, en fait démocratiques,
mais aussi industrielles, techniques et financières, il serait fort étonnant que vous y parveniez.
Cela serait même peu souhaitable tant vous avez le choix pour cette énergie d'une autre décision plus réaliste, économique, et préservant l'avenir.

Transition énergétique ?

Il est vrai qu'au vu de l'état réel des cycles de vie des installations de son parc de réacteurs, la France a un réel problème à moyen terme de capacité de production d'électricité.
À long terme non, à condition d'adopter une stratégie énergétique semblable à celle de l'Allemagne.

Le mouvement de diversification des sources d'approvisionnement, en énergies renouvelables ou non, n'est et ne sera pas suffisant pour autoriser sans conséquences économiques graves une sortie rapide de l'énergie nucléaire.

Nous ne sommes pas dans la situation de l'Allemagne ou du Japon : le choix engagés par Pierre Messmer en 1974 de ne privilégier qu'une seule source d'énergie électrique nous contraignent à prolonger longtemps son exploitation.

Les réacteurs que nous avions construits en grande série, avec de grandes économies d'échelle, mis en service en cadences de deux à trois par an, arriveront en fin de vie aux mêmes cadences.

Cette réalité qui tombe sous le sens vous pousse "raisonnablement" à annoncer la nécessité d'en remplacer une partie, ne serait-ce que pour maintenir l'objectif de 50% de production nucléaire déclaré par le gouvernement.
À l'évidence, les industriels de l'énergie nucléaire vous l'ont fait savoir, tant la littérature est abondante sur le sujet.

À défaut, cette proportion se réduira, plus vite que se développeront les capacités renouvelables capables de compenser ce manque.

Évidemment vous n'envisagez guère de compenser ce déficit par des turbines à gaz, encore moins par des centrales à charbon, certes plus faciles à mettre en œuvre, mais qui mettraient en danger notre dépendance énergétique, et accentueraient nos déséquilibres écologiques.

Tout cela était déjà connu il y a trente ans.

Prolonger l'exploitation à moindre frais ?

Il y a près de trente ans, après huit années d'ingénierie nucléaire chez Framatome, devenu chercheur à la Direction des Études et Recherches d'EDF, j'y ai suscité la question. Il n'y avait alors encore aucune étude en cours sur l'allongement de la vie des installations.
À ma connaissance cela ne faisait pas encore partie de vos soucis.

La question posée s'est propagée dans l'Établissement, pour devenir un des sujets de préoccupation pour chaque secteur concerné, chacun le traitant à sa façon. Une sorte de consensus s'est rapidement établi sur la nécessité de prolonger la durée de vie des centrales, à moindre frais.

L’œil rivé sur le "Kd", coefficient de disponibilité, donc de rentabilité des installations, l'espoir de toutes les parties prenantes fût alors de ne rien avoir à modifier, sauf à la marge, et de continuer à exploiter les réacteurs ainsi aussi longtemps que puisse l'accepter l'Autorité de Sûreté.

De combien d'années pouvait on espérer prolonger à moindre coût l'exploitation d'une unité de production ?

Du côté de la Direction de l'Équipement d'EDF, en charge des études d'ingénierie, les matériels, les procédures ont alors été réexaminés dans cet objectif.

Pour ce qui la concerne la Division de la Production Nucléaire étudia les incidences à craindre sur les programmes de maintenance lourde, à prévoir au cours des visites décennales.

Hors son génie-civil, en particulier celui des enceintes de confinement, tous les équipements furent jugés remplaçables, à l'exception bizarre d'un seul : la cuve du réacteur lui-même.

Bizarre, parce que j'en connais quelques autres, mais pas celui là. Mais ces autres qui sont peu sollicités ne sont pas comme la cuve sur le chemin critique qui conditionne la durée de vie d'une installation.

À la fin des années quatre-vingts la nouvelle génération d'ingénieurs d'EDF que je rencontrais n'avaient pas vécu la construction du Parc nucléaire. Ils avaient dans l'idée que les circuits primaires avaient été mis en place à l'avancement de la coulée du génie-civil, et s'y trouvaient enfermés, ce qui interdisait en pratique leur remplacement. La culture des Aménagements s'était dispersée. Or ce qui est vrai dans beaucoup d'installations dans le monde, ne l'est pas en France.

Au siècle dernier, dans les années 70, le constructeur Framatome, en charge de la partie nucléaire des études d’ingénierie, donnait pour quarante ans au mieux - avec quelque raison - la durée de vie nominale des cuves des réacteurs.  En vieillissant, à force d'exposition au rayonnement neutronique, elles courent le risque d'une rupture fragile, brutale, de l'acier constituant les cuves, dont la structure fine est altérée à la fois par le rayonnement qu'il reçoit, et par la fatigue du métal due aux cycles alternés de pression et de température.

Aucun système de sauvegarde n'a jamais été imaginé pour être capable de pallier ce type d'accident.
En pleine puissance, suite à un transitoire, une rupture circonférentielle de la cuve entraîne la chute du cœur.
En se séparant des grappes de commandes restées suspendues, celui-ci devient fortement surcritique .
L'arrêt d'urgence est inopérant puisque le désaxement des éléments combustibles dans leur chute rend impossible la réinsertion des grappes. Le cœur fond.
À très haute température le zirconium des assemblages s'oxyde, réduit l'eau présente et libère ainsi une quantité considérable d'hydrogène qui se mêle à l'air ambiant du puits de cuve.
Ce qui a pu être évité à Three Miles Island et ne l'a pas été à Fukushima est ici inéluctable : la température est telle que ce mélange explose brutalement, dans l'enceinte de confinement.
La pression instantanée dans l'enceinte dépassant les quelques quatre bars de son dimensionnement, celle-ci se fissure, et laisse s'échapper dans l'atmosphère quantité de radionucléides mortels, rendant inhabitable une grande partie du territoire européen.

Vu de la salle de commande ceci s'est passé en un instant, sans que l'équipe de quart ait le temps de comprendre ce qui arrive, contre lequel elle est impuissante.

Les progrès des connaissances du vieillissement des matériaux permettaient ils, sans craindre cela, de prolonger l'exposition ?

Il faut comprendre pourquoi les acteurs de l'industrie nucléaire n'aiment pas cette idée que l'on puisse remplacer complètement le circuit primaire d'une centrale.
Ce qui est dans l'intérêt général est hélas dévavorable à leur intérêt particulier.
Prolonger la durée d'exploitation de dix ans ne leur est souhaitable que dans la mesure où cela permet entre temps de réaliser le nouveau programme de construction dont ils rêvent. En revanche prolonger bien au delà, et ce pour un coût modique obère l'avenir de leur industrie, en rendant inutile ce nouveau programme.

Il fallait donc gagner quelques années, mais pas trop.
On analysa donc les éprouvettes du même acier qui avaient été disposées pour mesurer le vieillissement effectif ; à partir de cela on fit donc des modèles et on lança des calculs. la Direction des Études et Recherches s'était toujours dotée des moyens de calcul les plus puissants, et développe des codes de calcul des plus évolués. On peut même penser que le calcul y est un but en soi, quelque soit son sujet ; à ce titre Tous les ans ce centre de recherche co-organise avec le CEA une école d'été d'analyse numérique. Justifiant ainsi son existance, il ne s'épargna aucun effort.

On se persuada ainsi que le risque de rupture fragile était plus lointain que les connaissances anciennes l'évaluaient. On devait donc pouvoir ne rien faire. On le fit savoir, et on défendit ces nouvelles convictions auprès de l'Autorité de Sûreté et auprès de la Représentation Nationale.

Le Droit français n'est pas celui des États Unis. La décision de prolongation de la durée d'exploitation d'une installation y est plus facile, dans la mesure ou sa durée de vie initiale n'est pas formalisée en Droit. Dix années supplémentaires furent d'abord accordées aux premières tranches concernées.

Mais vous savez que cela n'est pas suffisant.

En théorie, il n'y a pas de différence entre la pratique et la théorie.
En pratique il y en a.

[Lawrence Peter (Yogi) Berra]

Dans toute industrie, les calculs des ingénieurs portent sur des modèles théoriques sensés représenter au plus près des familles des objets réels que sont les équipements dont il faut décider du sort.
La fiabilité de ces sortes de calculs a un caractère statistique, chaque modèle représentant un objet en fait théorique, moyenne de ce que l'on a pu observer sur des équipements réels.
À l'expérience cela ne fonctionne bien que pour des objets manufacturés en grande série, pour lesquels les écarts de qualité sont industriellement restreints, et pour lesquels des essais destructifs ont pu être menés en nombres suffisants pour qualifier la conformité des modèles mathématiques au "plus grand nombre" des objets effectivement produits.
En réalité, pour l'industrie nucléaire, malgré la très haute qualité des codes de calcul qu'elle a développés, le nombre des équipements que les modèles théoriques sont sensés représenter est statistiquement trop réduit pour que l'on puisse raisonnablement se fier à ces modèles.
Aucune industrie n'a jamais maîtrisé la dispersion des caractéristiques d'objets trop coûteux et fabriqués en trop petite série pour être soumis aux essais nécessaires et suffisants pour certifier la conformité de leurs modèles virtuels de calcul à la réalité de ces objets.

Car il y eut d'autres problèmes, imprévus des calculs initiaux : on observa des fissures, dans le métal comme dans le béton. Imprévues, elles n'apparaissaient pas sur les superbes maillages servant à représenter les équipements calculés. Alors il fallu les y ajouter. On simula l'être et le devenir de la fissure dans un équipement nucléaire. On a pu ainsi spéculer sur le comment et dans quelles conditions une fissure s'ouvre et se propage, ou au contraire s'arrête, voire se referme.

Parmi celles que l'on observe, certaines - en fait la plupart - sont microscopiques. D'autres sont traversantes. Bien sûr celles là ne sont pas n'importe où, mais en des endroits fortement sollicités.

Dans les années soixante-dix, lors des études du programme nucléaire français, Framatome considérait que les équipements de circuit primaire tiendraient la durée de vie de la centrale. Et n'imaginait pas comment les remplacer.
Il lui fallut déchanter lorsqu'un incident à la centrale d'Indian Point aux États Unis montra que les tubes des générateurs de vapeur pouvaient fuir à un rythme alarmant. Je me souviens de l'ambiance déastreuse de cette nouvelle dans les bureaux d'étude de Framatome à La Défense.
En France on a observé le phénomène, surveillé et obturé des tubes, pour prévenir des fuites. On a conçu des machines mécaniques spéciales pour réaliser ces opérations initialement jugées improbables. Mais à force de les boucher il n'en restait plus suffisamment pour produire la vapeur nécessaire aux turbines.

On dépensa alors des trésors d'ingénierie, avec des simulations sur ordinateur et des développements de machines automatiques à découper, puis à ressouder, pour extraire ces pièces de chaudronnerie de 300 tonnes, plus de 20m de haut et 5m de diamètre, et les remplacer par des neufs.

Opportunité et courage ?

Par chance, à EDF les grands moyens de manutention prévus pour la construction sont conservés pour la maintenance. Ce qui était en apparence coûteux fût opportunément mis à profit.

Alors que Framatome a craint un moment de voir remettre en cause la rentabilité même de son activité, la nécessité du remplacement des générateurs de vapeur devint au contraire pour elle une opportunité industrielle : elle aurait à en produire et à en vendre deux fois plus !

Mais hélas il y eut bien d'autres incidents : un jour on constata un petit jet issu d'une fuite sur un couvercle de cuve de réacteur. Il faut dire qu'un couvercle de cuve est une pièce mécanique complexe, un dôme traversé par tous les mécanismes de commande des grappes de commande du cœur du réacteur. Autant de passages, autant de soudures, autant de concentrations de contraintes, de fissure, de fuite.

On fit construire d'urgence un couvercle de remplacement. On répara le fuyard. Et on fit des échanges standards successifs après avoir réparé les fuites en puissance de tous les couvercles suspectés.

Si les couvercles sont percés de multiples orifices, il en est de même du fond des cuves, pour faire passer les instrumentation de cartographie précise des états de combustion des cœurs. Autant d'orifices et de tubes soudés, autant de risques. Heureusement à ce jour je n'ai pas connaissance que l'on en ait constaté, sur nos cuves vieillissantes.

Je suis prêt à parier que si cela avait été le cas, nos ingénieurs auraient développé les moyens nécessaires et suffisants pour ne pas accepter la fin de l'exploitation de la tranche de centrale concernée. quitte à l'instar de ce que l'on fait pour les générateurs de vapeur, de remplacer la cuve. Les machines à découper et à ressouder les tuyauteries primaires sont disponibles. Si Creusot-Loire avait continué d'exister, Framatome y aurait même trouvé un grand intérêt.

Dogmatisme ?

Longtemps EDF a proclamé qu'il n'y avait que deux composants non remplaçables dans une centrale nucléaire : l'enceinte de confinement du bâtiment réacteur, et la cuve du réacteur. Ces affirmations étaient communément admises, la première apparaissant comme évidente, la seconde étant supposée l'affaire de spécialistes dignes de confiance. Il faut dire ici que d'une ingénierie à l'autre la conception change, et que si un grand nombre de centrales de par le monde enferment leur circuit primaire avant l'achèvement du génie-civil, ce n'est pas le cas en France.
Volontairement ou non ? Cela semble avoir été oublié.

En 2008, un séminaire de chercheurs seniors de la Direction de la Recherche d'EDF, s'est inquiété de savoir si cette affirmation était fondée, et quelles étaient les références documentaires des études qui avaient conduit à la conclusion de l'impossibilité du remplacement des cuves.
Une recherche bibliographique fut rapidement menée, qui montra qu'il n'en existait pas. La Direction de la Recherche et Développement dut se résoudre à la nécessité d'une étude.

Contrairement à ce que beaucoup pensaient, la faisabilité de la manutention était évidente, puisque les ponts roulants interne et externe de manutention des équipements primaires sont toujours en place, et qui ont servi à l'installation des équipements du circuit primaire après passage au travers d'un vaste tampon matériel amovible, ce une fois le génie-civil achevé. Les générateurs de vapeur, les pompes primaires, le pressuriseur, les branches de tuyauteries et enfin la cuve sont ainsi entrés dans des bâtiments achevés. Ils peuvent être démontés et en ressortir de la même façon.

La question en suspend restait la faisabilité radiologique. Des rapports d'expérience américaines sur différents démantèlements de centrales l'ont démontré, dont tout un chacun peut trouver témoignage sur Internet.
Une étude des conditions de réalisation fut menée, qui permit de définir qu'une enveloppe de protection de 20cm ramènerait les doses de radiation à des valeurs inférieures aux normes en vigueur pour l'extérieur.

Il faut vous en convaincre : l'âge d'une centrale nucléaire n'est pas forcément celui de son circuit primaire. À la façon du moteur d'une voiture, il peut être entièrement remplacé.

Conflits d'intérêts ?

Ce qui n'est peut être pas l'intérêt d'Areva n'est il pas en revanche le votre, qui êtes en charge de l'intérêt général ?

Le coût économique, écologique, administratif du doublement de la durée de vie des centrales 900MW des quelques vingt centrales du contrat programme ne serait il pas d'un ordre de grandeur inférieur à celui du lancement d'un programme EPR ?
Quand bien même il faudrait rénover bien d'autres choses dans ces centrales, les doter de systèmes de sauvegarde supplémentaires, y remplacer le contrôle commande, ce serait préférable.
Grâce à ces "bernard l'ermite" le coût de démantèlement ramené à la durée d'exploitation serait divisé par deux.

Je me souviens des études auxquelles je participais dans la section des avants-projets à Framatome. Nous avions observé que les intérêts de son financement constituait une part majeure du coût d'une installation nucléaire. Selon que l'on est capable de construire vite et bien ou lentement et mal, le coût initialement acceptable devient prohibitif.

A l'expérience industrielle du remplacement réussi des générateurs de vapeur, rénover de fond en comble une installation se ferait plus rapidement, en faisant appel à des compétences encore disponibles, pour un coût maîtrisable, même s'il faut acheter les équipements primaires au Japon.

Savoir faire ?

Force est de le constater, l'outil industriel bâti dans les années soixante-dix s'est progressivement démantelé, dès lors que son marché s'est tari. Un savoir-faire progressivement dispersé ne se reconstitue qu'avec difficultés.

L'expérience des derniers chantiers d'EDF est douloureuse. Le palier N4 qui a précédé l'EPR de Flamanville n'a compté que quatre réacteurs, dont la gestation fût déjà anormalement longue et donc extrêmement coûteuse. Il n'a pas été prolongé. À ce prix, EDF ne ressentait plus le besoin d'accroître son parc.

Commandé tardivement par EDF, bien après son premier client Finlandais, l'EPR, dont l'ingénierie est pour la première fois entièrement assurée par Areva, n'en finit pas de se construire, à grande perte financière. Il aura près de cinq années de retard, dont les contribuables épongeront le surcoût qu'elles engendrent. Il n'apparaît pas qu'EDF ait été très favorable à ce projet, puisque pour la première fois elle n'en a programmé initialement qu'un seul, renonçant du même coup aux économies d'échelle qui avaient si bien permis de réduire mieux que partout ailleurs les coûts des installations précédentes.

Quoique en apparence semblable, l'EPR Français diffère de celui de Finlande par un choix qui fût à la fois indispensable et des plus coûteux : la norme de nommage de chacun des matériels et de chaque système ne pouvait en France être celle de la norme Din KKS concédée aux papetiers finlandais. Pour être exploitable en France, la nomenclature des systèmes installés se devait d'appliquer les normes de nommage (ECS) en vigueur sur le parc d'EDF. En pratique cela a impliqué de refaire à grand frais le modèle tridimensionnel de la centrale, ainsi que tous les plans de construction, et tous les dossiers d'ingénierie des systèmes comme des bâtiments.
Ce surcoût d'études aurait eu peu d'importance s'il avait pu s'amortir sur de nombreux exemplaires.

Lorsqu'au printemps 2014 Henri Proglio a fait un événement de la mise en place du dôme métallique refermant l'intérieur du bâtiment réacteur de l'EPR de Flamanville, nombre d'anciens en ont pu en rire. J'en ai eu honte. Le savoir faire des grands aménagements d'EDF se montrait manifestement dilué, sinon perdu.

Probabilité d'un futur nucléaire ?

Dans ce contexte d'incapacités industrielles, il serait préférable de renoncer à tout programme de réacteurs de quatrième génération !
Leurs concepts qui existaient déjà en 1970 ne sont pas plus réalisables aujourd'hui, techniquement, économiquement et sociologiquement qu'ils ne l'étaient à cette époque.
Souvenez vous du désastre technico-économique que fût Creys-Malville. Je me souviens encore du soulagement de quelques collègues qui y travaillaient lorsque l'on décida enfin d'arrêter l'expérience.

À ce jour, les espoirs d'exploiter l'énergie de fusion nucléaire ont été déçus, quoique ils réémergent avec la publication d'un brevet par Lookheed Martin. Ce n'est pas par hasard qu'EDF n'investit pas un seul €uro de recherche dans ce domaine. Là, davantage encore, jusqu'à preuve du contraire on ne sait manifestement pas "faire".

Votre projet de construction de nouveaux réacteurs "classiques" se heurtera de façon aussi inéluctable à l'incapacité qui est apparue en France de les mener à bien, avec le niveau de qualité, de Sûreté et de rentabilité que cela requiert, à temps pour assurer la relève. Hélas la quantité inédite de malfaçons dont souffrent les chantiers Européens d'EPR le démontrent.
Nos meilleurs ingénieurs, ceux qui seraient pour cela nécessaires, préfèrent à l'évidence d'autres secteurs d'activité plus dynamiques et plus porteurs d'avenir que celui d'une industrie tant décriée qui apparaît comme en fin de vie.

Acceptabilité sociale ?

Vous savez que toute intention de construire de nouvelles installations se heurtera de façon aussi inéluctable à l'opinion publique, qui s'opposera avec fermeté sinon violence à tout nouveau site d'implantation. Son expérience des mensonges passés des acteurs de l'industrie nucléaire la rendue des plus méfiante. Après Tchernobyl, elle n'est pas près d'oublier Fukushima. Vous ne la convaincrez pas.
Pour toute nouvelle installation les procédures d'études d'impacts environnementaux seront longues, contestées, subiront de nombreux recours.
À essayer de passer en force, vous allez dépenser et perdre du temps, et du temps, pour résoudre votre problème vous n'en avez guère.

Les réseaux sociaux de communication sont ainsi faits qu'en affaire mentir pardonne moins que jamais, ne serait-ce que par omission. Hélas l'industrie nucléaire a été tellement prise en défaut dans ce domaine que sa crédibilité est compromise à jamais.

L'autorité de Sûreté Nucléaire et l'IRSN ne vous autoriseront plus la moindre prise de risque. Aucune raison d'État ne les fait plus fléchir, dès lors que l'État ne peut plus les protéger.
Mes anciens collègues qui y travaillent savent que désormais ils ne pourront pas échapper à leur responsabilité pénale.
Qui prendrait le risque d'être accusé de "Mise en danger d'autrui avec préméditation" ?
Dans ce contexte, on peut comprendre que l'Autorité de Sûreté et l'IRSN préfèrent évaluer la Sûreté de nouvelles constructions plutôt que celle de vieux réacteurs qu'EDF souhaiterait prolonger. C'est ainsi qu'ils paraissent favorables à votre intention.
À ma connaissance nul ne leur a soumis l'hypothèse de la rénovation intégrale des matériels dits "IPS" (Importants pour la Sûreté). S'ils devaient l'évaluer, leur position ne serait-elle pas différente ?

Capacité financière ?

Enfin dans le contexte économique actuel, votre intention de construire de nouvelles installations devrait se heurter à une difficulté croissante de trouver des investisseurs avisés, acceptant de spéculer pour plusieurs milliards d'€uros sur près d'une dizaine d'années, dans des contextes économiques instables, avant d'espérer le moindre retour d'investissement. Quel investisseur privé s'y risquerait aujourd'hui ?
Le groupe papetier finlandais est il satisfait de la rentabilité de ses investissements dans le premier EPR, qui ne produiront qu'avec plus de neuf années de retard ?  Je ne suis pas sûr que les institutions Européennes autoriseraient, tant cela pourrait être considéré comme une distorsion à la concurrence, qu'un État prétende à nouveau engager ainsi ses finances publiques.
L'endettement actuel de la France n'est il pas déjà suffisant pour que l'on s'engage dans une telle aventure ?

Je vous invite donc à envisager d'augmenter fortement et rapidement, de quelque trente années la durée de vie acceptable de vingt huit réacteurs dont vos remplacerez l'ensemble du circuit primaire et tous les autres équipements vitaux. Ces réacteurs sont ceux du "contrat programme" dont l'enceinte comprend une peau métallique, dont l'étanchéité n'a jamais été mise en défaut, contrairement à celles des paliers suivants, hors l'EPR.

Contrairement à ce que l'industrie nucléaire a demandé et obtenu de la représentation nationale, soit de maintenir des technologies obsolètes pour la conception et la réalisation du contrôle commande des réacteurs de ces centrales, exigez leur remplacement selon des méthodes et les technologies les plus avancées, telles que celles déployées dans l'armement. La résilience aux pannes multiples de ces systèmes devrait être semblable à celle d'un cerveau humain.

Il vous faut en effet investir dans la consolidation de leur Sûreté.
Prenez pour cela comme règle d'adopter les critères de risques les plus contraignants en vigueur dans le monde. Remplacez l'ancien critère "de simple défaillance" pour le décupler, fiabilisant ainsi la Sûreté d'un ordre de grandeur.
Ne transigez sur rien dans ce domaine. Faites considérer l'accident non pas comme improbable mais comme certain. Et assurez vous par des études indépendantes que ses conséquences seront limitées au périmètre des installations.

Malgré cet effort, l'entreprise sera d'un ordre de grandeur financier moins coûteux, plus rapide à réaliser, plus acceptable par la collectivité, écologiquement moins nuisible que de lancer la construction de nouvelles unités. En vous engageant à cela vous ferez prouver en passant la capacité à déconstruire nos installations.

Quant aux autres installations, je vous invite à les faire fermer sans regret lorsqu'elles arriveront en fin de leur vie prévue. Vous aurez bien du mal à convaincre d'en prolonger l'exploitation.

À l'industrie nucléaire n'aurait due être tolérée aucune dispersion de radionucléides artificiels, en aucune circonstance et ce tout au long du cycle d'existence des produits et matériels de son activité.

C'était son honneur de confiner ses effets potentiellement néfastes, effets qui sont inhérents à toute industrie énergétique.
Elle y a failli, faute d'accepter de considérer chaque risque en tant que certitude, et faute d'accepter le coût qu'elle juge exorbitant d'en parer les conséquences. Ayant failli, elle est aujourd'hui irrémédiablement condamnée à ne subsister que sous des régimes politiques totalitaires.

Qu'importe ! Même en supposant par une sorte d'uchronie qu'elle ait réussi à être irréprochable, ses dynamiques sont devenues trop lentes pour s'adapter aux nouvelles constantes de temps des économies du XXIème siècle. Il lui faut maintenant accepter de vivre les temps de la fin de sa vie.

Ne vous laissez pas abuser par son essor apparent en Asie. Celle-ci vit avec un temps de retard ce que les pays occidentaux ont vécu à la seconde moitié du XXème siècle. Nos économies exploitent ce décalage qui n'aura, à l'évidence qu'un temps. Exprimé en terme physique ce n'est qu'un phénomène d'onde de relaxation.

Longtemps lié au nucléaire militaire, le nucléaire civil se départit difficilement de sa tradition du secret. Elle est aujourd'hui vaine, tant à l'age du web il est devenu inutile voire dangereux de prétendre cacher longtemps quoique ce soit. 

N'oubliez pas à ce sujet qu'il lui faut répondre à la question des conditions de la sous-traitance à des entreprises d'intérim privées des opérations de maintenance en zones contrôlées. Ce sont des pratiques qu'il vous faut prohiber, dont EDF n'aime pas parler, que des ouvrages et des films ont illustrées à ses dépens.

 Pour mémoire, lors de la conception des centrales, pour en évaluer les coûts, Framatome associait à la dose annuelle maximum supportable par un agent le coût de son salaire à lui payer pour cette une année. Les pratiques sociales d'EDF dans ce domaine sont loin de respecter cette exigence du prix consenti de la santé. 

Quoique je doute fort à moi tout seul de vous faire changer d'avis, j'aurai tenté ma part.

Espérant avoir retenu votre attention, je vous prie d'agréer, madame la ministre, l'expression de ma meilleure considération.

à suivre, "Des fois".


Démocritique




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