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Février 2023 Brisure de grèveC'était à la fin des années soixante dix du siècle précédent. Travaillant alors dans une société de l'industrie nucléaire, j'ai appris incidemment qu'elle avait reçu une commande inattendue d'un jeu de "grappes de commande" pour des éléments combustible d'origine Westinghouse, pour lesquels cette entreprise avait la licence. Pourquoi donc ?
Pour une raison aujourd'hui oubliée, alors qu'un de ses réacteurs devait entrer en phase de renouvellement de ses éléments combustibles, le personnel en charge de cette opération s'est mis en grève, après avoir mis le réacteur à l'état d'arrêt à froid. Quoique la perte de chiffre d'affaire qu'entraîne chaque jour d'arrêt d'exploitation soit difficilement supportable, la direction de cette entreprise commerciale se refuse à céder au chantage de son personnel ouvrier.
Ainsi fut fait. Une fois les écrous de fixation du couvercle de cuve démontés, le couvercle étant élingué au pont polaire pour être soulevé, les nouveaux opérateurs procèdent au remplissage de la piscine conjointement à l'élévation du couvercle. Tout cela semble bien se passer jusqu'à ce qu'un ingénieur remarque, depuis la salle de commande, que les chambres de mesure de puissance nucléaire enregistrent une croissance inattendue de la réactivité. Il nous faut là donner une explication : c'est sur le couvercle de cuve que sont soudés les mécanismes de commande des grappes qui servent à régler la puissance produite par le réacteur. Les "grappes" sont des jeux de fins tubes d'alliage neutrophage d'indium, insérés ensemble dans chaque élément combustible. Les grappes de commande doivent être désolidarisées de leurs mécanismes avant de soulever le couvercle de cuve. Les ingénieurs briseurs de grève avaient oublié ce détail, ce qui fait que l'ascension du couvercle s'est accompagnée de la levée de l'ensemble des grappes, dont a résulté naturellement le réveil de la réaction nucléaire. L'alerte fut donnée à temps, avant que le réacteur ne s'emballe, dans les conditions neutroniquement instables d'un arrêt à froid. Les ingénieurs tentèrent de faire redescendre le couvercle. Hélas les grappes sont formées de tubes trop fins pour supporter le moindre désaxement. Nombre de ces tubes se coincèrent et, sous le poids du couvercle "flambèrent" à la façon d'un paquet de spaghettis. Je ne sais comment s'est passée la suite des événements. En particulier je ne sais comment s'est négociée la suite de la grève, mais j'ai de bonnes raisons de penser que l'arrêt du réacteur a été bien plus long que prévu.
Avant Three Miles Island, Tchernobyl et Fukushima nous aurions pu avoir un accident majeur dans des conditions imprévues des études de sûreté. "Il y a trois manières de se ruiner…
Barenton était ingénieur.
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