================================================== Recycler la Très Grande Bibliothèque



Ontologie : Démocritique

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Novembre 2022

Recycler la Très Grande Bibliothèque


Entrant dans Paris...

...Passant sur les quais de la Seine rive droite, j’avais observé avec quelque perplexité la construction de la Très Grande Bibliothèque sur le site de Tolbiac.

Pourquoi donc ce bâtiment a-t-il été conçu ainsi, sur la base d’un ordre Quatre ?
Et non dix, selon l’ordre décimal hiérarchique de Dewey, adopté pour le classement des ouvrages dans les grandes bibliothèques ?
N’est ce pas étrange pour un édifice destiné à ranger des Livres ?

Poursuivant ma route, je me suis donc demandé comment j’aurais imaginé une autre architecture pour une telle institution.

J’ai lu à l’occasion quelques livres à ce sujet, dont ceux d’Alberto Manguel, et en passant “La Bibliothèque, la nuit “.
“ Alberto Manguel, passionné des bibliothèques, fait part de ses questionnements et réflexions sur les quinze éléments qui définissent selon lui une bibliothèque : un mythe, un ordre, un espace, un pouvoir, une ombre, une forme, un hasard, un cabinet de travail, une intelligence, une île, la survie, l’oubli, l’imagination, une identité et enfin une demeure. Les bibliothèques sont des constructions matérielles et mentales qui amènent une réflexion notamment sur la lecture, le classement, la mémoire et l’architecture.
[ Wikipédia ]

Il dit que telles qu’elles ont été successivement bâties, partout de par le monde, les plus grandes de nos bibliothèques sont toujours insuffisantes pour contenir et donner accès à tous les ouvrages que, par essence, elles prétendent collectionner.

Ainsi la Bibliothèque Nationale du site Richelieu et les autres sites de l’institution étant bientôt saturés, il a fallu en ajouter un nouveau, qui fut donc placé dans le quartier de Tolbiac du XIIIe arrondissement de Paris.

Est-il le mieux placé pour cet usage, cela se discute, mais pour un autre j’ai une idée, que je développe un peu plus loin.

Donc, enrichi par quelques réflexions et par simple jeu de l’esprit, j’ai poursuivi mon chemin et mon expérience de pensée…

La Bibliothèque voulue par François Mitterrand a été vivement critiquée. Ses débuts ont été difficiles ; le système mécanisé de circulation des ouvrages a eu des déboires de jeunesse, tout comme son système de gestion informatique.
Avec de l’argent public et une cohorte d’ingénieurs et de techniciens, il semble que tout cela soit rentré dans l’ordre.
Pour préserver les ouvrages des rayonnements ionisants du soleil, les surfaces vitrées des quatre tours ont du être occultées.

Ceci est-il une illustration des inévitables contradictions auxquelles s'affronte tout projet humain ?
Telle qu’elle est, cette Très Grande Bibliothèque ne me semble guère répondre aux réflexions d’Alberto Manguel…

L’exposition à Montréal de “La bibliothèque, la nuit,” montrait “ une forêt onirique. Dans cet espace, des troncs d’arbre s’élancent vers le plafond. À leur cime, en remplacement des feuilles, d’innombrables livres aux couvertures vertes sont accrochés. Plus bas, des amas de feuilles de papier jonchent le sol rappelant l’automne et ses feuilles mortes. “
[ Wikipédia ]

Cette vision est bien loin d’une convolution de parallélépipèdes, telle que peut se définir le nouvel édifice de Tolbiac.

À l'inverse, l’architecture rêvée par Manguel est organique.
Quel être, dans la Nature, autrement qu’un Banian pourrait répondre à cette insatiable nécessité de pouvoir grandir, se déployer, et semer les cultures accumulées dans une bibliothèque ?

Les lois de croissance du nombre d’ouvrages à réunir semble bien être exponentielle.

Cela peut paraître désespérant… C’est pourquoi j’ai acheté le livre de Pierre Bayard qui devait me permettre de résoudre ce dilemme “Comment parler des livres que l’on a pas lu”
Pour moi le dilemme est resté : fallait-il que je le lise, ou non ?

Cela n'aide guère à la résolution du problème : les choses évoquent la légende de l’inventeur du jeu d’échec : un grain de blé dans la première case, puis deux, puis quatre…
Les grains de blé ont la chance d'être interchangeables, chose inimaginable pour un livre !
Un seul vous manque et votre bibliothèque vous paraît vide !

Si la prétention de nos très grandes bibliothèques actuelles est vaine de tout vouloir rassembler, n’est-il pas raisonnable d’essayer de les concevoir autrement de telle sorte que, par essence inachevées, elles puissent grandir au cours du temps ?

Des débuts du déroulement du temps nous n’avons que peu d’écrits. Les premiers sont apparus comme des gravures rupestres indéchiffrées,
Les premiers récits écrits qui ont résisté aux vicissitudes des temps furent gravés sur des pierres. Pour être d’assez petite taille pour pouvoir rentrer dans la collection d’un musée, et être l’objet de fac-simile consultables dans une bibliothèque, ils n’occupent plus une place considérable.
Au cours du déroulement du temps, les écrits qui ont subsisté furent de plus en plus nombreux, nécessitant toujours plus de place .
Mais même si au cours des temps aux rouleaux ont succédé les codex, puis les livres les ont remplacés, qui ont d’abord été écrits à la main, puis ont été imprimés, la densité de l’écriture s’est accrue jusqu’à des proportions microscopiques d’impression, le volume à réserver pour les ouvrages à réunir tous les ans vient s'accroître indéfiniment.

L’Histoire se déroule, que les historiens remontent dans les bibliothèques : Ils y enroulent toutes sortes de récits.
Nombreux sont leurs sujets qui viennent traverser les siècles, sautant les spires d’une Histoire qui, sans se répéter, semble obéir à des cycles.

Dans la Nature, quel être vivant, mieux qu’un arbre intègre ces contraintes, si ce n’est ce fossile vivant qu’est le Nautile ?
Il naît petit, croît en s’enroulant autour de sa propre histoire, et archive son passé en cycles de saisons de métamorphoses.

Ainsi je rêve de la conception d’une très grande bibliothèque qui hériterait de l’architecture de ce coquillage mythique.
Posé à plat, se déployant sans contrainte dans un vaste domaine protégé, ce serait un édifice par essence inachevé, toujours vivant, toujours en construction, doté de couloirs radiaux d’accès aux ouvrages des siècles passés, Au dessus des arches d’un rez de jardin, ses dix étages suivraient la classification de Dewey…

Cela ne pourrait-il pas mieux répondre pas aux aspirations d’Alberto Manguel ?

Ressortant de Paris...

...Repassant à nouveau sur les quais de la Seine rive droite, je me suis demandé quel usage pertinent pourrait être fait de cet édifice, une fois vidé de ses livres, du site de Tolbiac.

Dans le même esprit biomimétique de conception d'une Bibliothèque, m’est alors venu à l’esprit ce petit animal mi-molusque, mi-crustacé qu’est le Bernard l’Hermite, qui recycle régulièrement pour son propre usage un coquillage vide, ou qu’il a vidé d’un gastéropode marin.

Fiction de Droit, la légitimité de nos institutions démocratiques n'est-elle pas aussi fragile que l’est ce petit animal ?

Autrefois le coquillage abritant la légitimité du pouvoir était des plus simple, qui supposait le droit divin du pouvoir des monarques ; d’aucun y ont cru longtemps, jusqu’à ce que certains en perdent la tête.

Depuis, dans nos traditions démocratiques, "De l'Esprit des lois" de Montesquieu est devenu une référence fondamentale pour la répartition des institutions en trois pouvoirs dûment séparés. Tel est le modèle de coquillage ordinaire qui abrite les institutions “démocratiques” actuelles, avec toute une diversité de modalités.

À l’époque où écrit Montesquieu les imprimés se diffusent lentement à la vitesse des chevaux. S'ils sont déjà des enjeux de pouvoirs, mais réduits par la lenteur et le coût la diffusion de l’information. En pratique ils sont limités par la vitesse et la capacité d’un cheval.

Les inventions du chemin de fer, du télégraphe et de la radiodiffusion ont changé les choses. En accélérant et amplifiant le débit des informations, elles ont introduit la puissance d’un quatrième pouvoir partagé par les États et les médias, celui de l’Information.

Au vingtième siècle, avec la radiodiffusion puis la télévision, les médias ont investi les modes de vie, et le contrôle de l’information est devenu un enjeu majeur de pouvoirs.

Après l’avènement de ce que l’on a nommé “Société de l’Information”, la confiance des populations envers les institutions des pouvoirs a commencé de se déliter.
Ce que L’esprit des lois n’avait pas anticipé a engendré de nouveaux équilibres entre le pouvoir exécutif et ce que l’on avait nommé le quatrième pouvoir des médias, écrits et audiovisuels.

Au XXIème siècle les technologies de l’Information ont à nouveau réparti autrement le pouvoir de l’information, dans les États où il est détenu par l'exécutif et à l’extérieur où il s’est partagé entre médias traditionnels et un petit groupe d’entreprises privées propriétaires de réseaux sociaux.

La crédibilité des institutions s’est encore dégradée, sinon rompue. obérant leur capacité à traiter des crises de toutes sortes à des déséquilibres partisans extrêmes, potentiellement destructeurs.

La faculté qui s’est développée d’accumuler, de traiter et de diffuser l’information donne un pouvoir désormais démesuré à ceux qui la détiennent. Les conflits d'intérêts entre exécutifs des États et puissances économiques sont fréquents qui s’accompagnent de la corruption des informations diffusées par l’État.

Ni l'exécutif d’un État, ni aucune grande entreprise privée, ne peut être légitime à exercer un tel pouvoir d’influence sur les populations.
Celles-ci ont un sentiment croissant de corruption des pouvoirs, et se dépolitisent, comme en témoignent les déficits croissants de participation électorale dans les démocraties.

Les institutions étatiques actuelles sont semblables à des Bernard l’Hermite, crabes agressifs omnivores en apparence, avec un corps de mollusque fragile qu’il doit abriter et protéger dans la structure d’une coquille fiable qu’il lui faut trouver à sa taille.
La légitimité de la vie du Bernard L’Hermite repose sur la coquille solide dans laquelle il s’est établi, de même que la légitimité des États démocratiques repose sur le respect du principe de séparation des pouvoirs décrit par Montesquieu.

À l’expérience des derniers temps, ce principe nécessaire de séparation en trois pouvoirs s’est avéré insuffisant pour établir et maintenir la confiance des populations dans leurs institutions, et donc leur légitimité.

Les populations n’étant pas dupes, il en résulte des dérives extrémistes de tous ordres que l’on observe dans la plupart des démocraties.

Dans ce contexte, tout citoyen(ne) d’un pays est pris entre des Charybde et Scylla monstrueux, dont il a de plus en plus de raisons de se défier ; chacun prétendant la protéger contre l’autre, ment à la population qui subit leurs dominations.

Il est devenu malsain que les institutions démocratiques ne fiabilisent pas la collecte, l’analyse et le traitement de l’Information au sein de l’État. Y remédier suppose d’y instituer l’indépendance du pouvoir “Informatif”.

Pour que nos Exécutifs sortent de la saturation cognitive actuelle qui les conduit à piloter "à vue", l'Informatif doit apporter les anticipations nécessaires à leurs actions, de sorte que les faits et projections qu'il constitue prescrivent les priorités et les simultanéités de ces actions.

De même qu’il faut au Bernard l’Hermite une nouvelle coquille solide pour accueillir ces nouvelles facultés, il faut dans les Institutions étendre le principe de séparation des Pouvoirs, à l’Information, qui ne peut sans être corrompue rester au mains de l'exécutif.

Au sein d’un État, de très nombreuses fonctions qui ne relèvent que de l'Informatif : Pour être digne de confiance, les instituts nationaux de statistiques, les diverses institutions de Sûreté, ne peuvent légitimement rester sous la moindre tutelle de l’Exécutif, que ce soit budgétaire ou pour la nomination de ses responsables.
Si c’est déjà le cas pour le Législatif, ce ne l'est hélas pas encore pour celui du pouvoir Judiciaire.

À l’inverse, le pouvoir Informatif ne peut en aucun cas prétendre au moindre pouvoir exécutif. Il se doit pour cela d’être redondant, lui-même séparé en unités concourantes indépendantes…
…mais tout ceci relève de modalités qu’une bonne constitution doit établir d’un État ayant recouvré ses légitimités.

En attendant, repassant sur les quais de la Seine rive droite, à son entrée dans Paris, j’ai observé avec un nouvel intérêt cette monumentale Très Grande Bibliothèque du site de Tolbiac. L’ayant vidée en pensée, je lui ai trouvé un nouvel usage plus approprié à sa structure d’ordre quatre.

J'imagine que dans trois des tours se répartissent les autorités collégiales de tutelle de l’Exécutif, du Législatif et du Judiciaire, alors que la quatrième reçoit l’autorité de tutelle de l’Informatif. Chacune est responsable de façon indépendante des modalités de nomination au sein de ses structures, de sorte qu'elles restent étanches entre elles.

En passant, l'État ne renoncerait-il pas avantageusement aux restes de ses ors républicains hérités des monarchies passées ?


Démocritique

à suivre, "Ferroutage".




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