Avril 2025
Récit
Elle est Nigérienne,
Son prénom est une manifestation de l’ironie de sa situation : « Blessing ».
De quels dieux est-elle donc bénie ?
Elle a peut être 25 ans, a un enfant qui l’accompagne, et un compagnon, aussi migrant.
Ils sont logés, via le "115", dans deux villes différentes.
Elle est rentrée illégalement en France après avoir fui un réseau de proxénétisme en Italie.
Elle veut porter plainte contre la « mère » qui l’exploitait dans la banlieue de Rome, dont le réseau pourrait la poursuivre en France.
Elle ne parle qu’anglais, et c'est par hasard que j’ai été sollicité pour l’aider.
Elle demande que je l’assiste en traduisant son récit à l’appui de la plainte qu’elle veut déposer à la gendarmerie de notre ville.
Je lui confie un ordinateur pour qu’elle m’écrive son histoire, depuis sa fuite du Nigeria jusqu’ici.
Je traduis ensuite ce récit en français, pour pouvoir le confier aux gendarmes.
Son parcours est « exemplaire » ; autrement dit un exemple révoltant de ce qui peut advenir à ceux qui se trouvent contraints à migrer.
Un homicide entre bandes -des « Cultes »- dont sa famille est une victime indirecte la pousse à fuir dans un pays voisin. Elle y rencontre un groupe de jeunes comme elle, qui projettent de partir vers le nord. Avec eux elle traverse le désert, se retrouve en Afrique du Nord. Elle y rencontre une de ses tantes qui, au lieu de la protéger la vend à un réseau de prostitution.
Ce réseau la fera migrer en Italie, sur un de ces radeaux gonflables dont d’aucuns réussissent à traverser la mer de Libye en Italie.
Elle y est vite prise en charge pour ensuite se retrouver au bord d’une route pour proposer ses services sexuels.
Elle rencontre alors son compagnon actuel, avec qui elle a un enfant,
Elle refuse de se faire avorter et donc fuit à nouveau.
Son compagnon l’aide à passer en France, où elle finit par aboutir dans un des logements d’urgence de notre ville.
C’est là que nous faisons connaissance, et que je reçoit et traduit son récit.
Je crains ce qui peut advenir lors du dépôt de plainte à la gendarmerie.
Risque-t-elle d’être placée dans un centre de rétention ?
Ma présence comme interprète et témoin sera-t-elle favorable à sa cause ?
Au rendez-vous fixé nous sommes reçus par une jeune officière.
Je ne suis jamais à l’aise en présence d’une personne portant une arme létale.
Le compagnon de Blessing reste à l’entrée pour garder l’enfant.
L’accueil dans un petit bureau est rassurant, cordial, compassionnel.
Nous disons la raison de ce dépôt de plainte.
Conformément à la procédure la gendarme frappe à son tour le récit que nous lui avons apporté, le complète à partir de questions et de réponses que je traduis pour Blessing.
Elle est elle-même mère d’un enfant du mème age que le sien. Elles se sourient.
Nous achevons la procédure : relecture de la déposition, impression selon le formulaire ad hoc et signature du document qui sera remis au procureur de la République.
Nous nous apprêtons à repartir lorsque la jeune femme demande :
« Ce n’est plus la gendarme qui vous parle :
Êtes vous heureuse ? »
à suivre, "Dialogue"
Démocritique
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