================================================== Dialogue



Ontologie : Démocritique

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Mai 2025

Dialogue

L’image du dialogue dans Saint-Pierre de Rome, entre deux chefs d’État, assis sur deux chaises rouges sans autre décor que l’extraordinaire dallage de la basilique a ramené entre autres à mon souvenir deux ouvrages essentiels de neurosciences.

Ils parlent d’émotions, de présupposés et de décisions.

Il ne s’agit pas seulement de ces deux-là, mais aussi de tous ceux qui les ont conduits là.

Éric Kandel, dans « à la recherche de la mémoire » nous décrit comment se constitue d’abord notre mémoire immédiate, puis notre mémoire à long terme. Cela commence en polarisant des synapses existants et se poursuit plus tard par la poussée de nouvelles dendrites et de nouvelles synapses entre neurones et axones.

Ainsi se câblent et se renforcent nos apprentissages et nos compétences.
Mais aussi ainsi se câblent et se renforcent nos présupposés. Ils y sont intriqués.

Au moins cela nous épargne les quantités d'énergie incommensurablement plus élevées que consomment les récentes "intelligences artificielles".

L’autre ouvrage, « L’erreur de Descartes » d’Antonio Damasio montre comment nos décisions sont tributaires des aires cingulaires antérieures de nos cerveaux. Or celles-ci sont aussi le siège de nos émotions. Si l’évolution Darwinienne en a voulu ainsi, c’est que nous n’avons jamais l’ensemble des données nécessaires à toutes nos décisions ; pour les prendre, il nous faut les compléter de "pré-jugés". Et ceux qui n’ont pas su décider n’ont manifestement pas pu survivre.

L’étymologie de l’émotion n’est elle pas « action de mouvoir » ?

Sur l’image, les deux chefs d’État sont des humains, dotés de semblables caractères émotifs, dont les décisions sont largement tributaires de leurs présupposés.
Il en a été de même de tous leurs électeurs qui les ont mis là.

Or les lois de la cybernétique, étudiées par Norman Wiener sont formelles : nul ne peut maîtriser des phénomènes dont les fréquences propres et/ou les ampleurs dépassent celles qu’il peut mettre en œuvre pour cela.

À l’époque où Montesquieu a écrit « l’esprit des lois », les informations voyageaient à la vitesse d’un cheval et s’inscrivaient en maigres volumes sur du papier encore rare. Appréhender la qualité de ce qui circulait était encore à la portée du cerveau des gouvernants, sinon des gouvernés.

Suite aux développements planétaires des technologies de l'Information, il n'en est plus ainsi.
Tout nouvel élu est placé d’emblée en état de saturation cognitive par des flux massifs d’informations grandement polluées, auxquelles il contribue souvent .

"On peut très bien être ministre et prendre des décisions en toutes méconnaissance de cause" en a témoigné Michel Rocard.

Heureusement pour nous, en pratique la plupart de nos décisions quotidiennes sont pertinentes, tant que la part d’incertitude que nous confions à nos présupposés y reste faible.

Il en est tout autrement lorsqu’il s’agit de décisions personnelles qui engagent "en toute méconnaissance de cause" le sort de millions d'humains alors que l'on est comme eux submergé d’informations contradictoires, polluées, manipulées, douteuses.

La part d'incertitude laissée aux présupposés des chefs de gouvernements est devenue un risque exorbitant, leurs nouveaux moyens de manipuler les opinions l'est tout autant.

À les entendre, les chefs d'État n'en semblent pas conscients : comme les autres, nos deux protagonistes sont dépassés par le chaos des événements.
Qu’ils les créent ou non, ils n'en maîtrisent ni ne mesurent les conséquences.

Dans le trio archétypal identifié par René Girard dans "la violence et le sacré", d'autres personnages sont venus jouer le rôle du sorcier à côté du chef et du bouc émissaire.

Guliano de Empoli témoigne de la façon dont ils manipulent en arrière plan le chaos, afin de l'organiser à leur convenance. Ils mettent à profit de leurs initiatives les gigantesques bases de données personnelles assemblées au moyen des technologies de l'Internet.

Ils ont appris comment manipuler et exploiter avec succès nos aires cingulaires antérieures, sièges de nos émotions.

Il n'est désormais plus possible d'effectuer une consultation nationale, ni pour élire ni encore moins pour décider, sans que les résultats ne soient faussés, et ce sans besoin de les falsifier.

Peut-on défendre la démocratie contre ces nouveaux fléaux ?

L'analyse mathématique de Nicolas de Condorcet, joliment confirmée par des expériences empiriques de Mehdi Moussaïd, chercheur en sciences cognitives à l'institut Max-Planck de développement humain de Berlin, montre la sagesse décisionnelle de majorités populaires, sous la condition que chacun puisse décider indépendemment, notamment d'influences extérieures.

Cela suppose que les corpus d'information à disposition de chacun soient constitués de faits avérés recoupés dénués de pollution par quelque intérêt que ce soit.

Cela met en cause la notion même de campagne électorale ou référendaire. Du renoncement que cela suppose dépend la survie de la notion même de démocratie.

Émergée à l'occasion de crises institutionelles, les expériences de conventions citoyennes, semblent les seules à pouvoir la préserver dans les nouveaux contextes actuels.


Prenant le temps de réfléchir pour pallier ce danger inhérent à toutes nos physiologies cérébrales, ne serait-il pas utile d'étendre le concept de séparation des pouvoirs en démocratie ? Peut être faudrait-il plutôt parler de Devoirs ?

Dans nos États modernes, le défaut de séparation constitutionnel de ce qui relève de « l’Informatif », le défaut de collégialité institutionnel des Exécutifs, le défaut d'indépendance du Judiciaire, ainsi que le défaut de représentativité du Législatif contribuent aux désastres que nous vivons.

L’informatif d’État ne devrait-il pas être indépendant, redondant, et pénalement responsable de ce qu’il collecte et analyse ?

Et sous quelques conditions, pour notamment éviter les biais de connivences, la collégialité des décisions ne permettrait-elle pas de compenser ceux induits par des présupposés individuels ?

Avec l'expérience favorable des conventions citoyennes, les élections qui sont devenues des cibles faciles de puissantes manipulations, sont elles encore indispensables à une démocratie réelle ?


Démocritique

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